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Carthage

L’idée d’habiter Carthage pendant les mois chauds m’impressionnait beaucoup. Émotion pour ainsi dire scolaire où Didon, Scipion, Caton, Annibal jouaient les premiers grands rôles ; émotion littéraire aussi, la Salammbô de Flaubert juxtaposant sa silhouette inventée, magnifiquement barbare, aux furieux carnages de la guerre inexpiable et autres événements d’avant J.-C. Ensuite la colonisation romaine, puis les martyrs chrétiens, puis les Vandales, puis Saint-Louis, tout, vraiment, venait s’en mêler. Dans ce coin d’Afrique si lourd de splendeurs et férocités passées, comment ne pas se monter la tête ?

Carthage ?

De cet amas de destructions successives, que reste-t-il ? Rien. Ou plutôt, si. Un nom.

Peut-être est-ce plus grand que des ruines ; mais quel vide !

Sous mes yeux déçus, des terrains plus ou moins écorchés par la superficielle charrue arabe, dépourvus d’arbres, entourés seulement de haies de cactus, descendaient doucement vers la mer. Colline sans histoire, dirait-on, tant elle sait bien se taire sur tout ce qu’elle a vu. Pas un vestige. Pas un signe. Seuls les quatre vents semblent s’y être donné rendez-vous. Car il ne passe pas une minute qu’ils ne soufflent, aussi bien en plein soleil qu’en pleine nuit étoilée, avec des violences de tempête.

À l’époque dont je parle s’élevait, au sommet de cette colline muette, une cathédrale très blanche et très laide autour de laquelle ne manquait qu’une ville. En effet,