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Tunis

Pour terminer mes surprises de novice à travers les gynécées de Tunis, ce contraste plutôt violent.

Un jour que je me promenais seule parmi les tombes de Bab-el-Gorjani, l’adorable cimetière arabe dont je ne pouvais me lasser, des femmes, dans la rue qui le côtoie, me firent, avec sourires et salams, signe d’entrer chez elles.

Logis de pauvres. Murs à la chaux, terre battue, quelques coussins de cuir, un kanoûn ou petit fourneau de terre cuite. Au beau milieu de la pièce exiguë, un berceau, c’est-à-dire, suspendue au plafond par quatre cordes rejointes en une seule, une boîte carrée de bois qu’un seul effleurement suffit à balancer.

Un nouveau-né vagit dedans, emmailloté jusqu’au cou dans des couleurs brutales, du kohl aux yeux et deux ronds de fard sur les joues.

Devant la ravissante petite idole, mon enthousiasme s’exhale par l’un des seuls mots arabes que je connaisse déjà : « Djémîl !… » (Beau !)

À peine l’ai-je prononcé que, sans y rien comprendre, je vois les sourires et les salams se muer brusquement en regards et gestes de haine, le tout constituant de toute évidence une invitation à sortir le plus vite possible de ce harem.

J’avais à peine passé le seuil que des pierres, ramassées dans la poussière, m’avertirent qu’il fallait disparaître un peu plus rapidement que ça.

À la longue seulement j’eus le mot de l’énigme, n’ayant pas osé raconter mon aventure à J. C. Mardrus.

La vérité c’est qu’on ne doit jamais dire d’un enfant qu’il est beau. C’est attirer sur lui le mauvais œil. Si l’on veut exprimer son admiration, féliciter la mère, on murmure simplement : « Que Dieu te le conserve ! » Et tout monde a compris.

Cette terreur du mauvais œil, principalement en Égypte, a pour conséquence… les mauvais yeux. Car,