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El Arab

apitoyés j’ai vus chaque fois que je leur répondais par la négative !

Les harems !… Ils sont loin de se ressembler tous à travers l’Islam, j’en ai su quelque chose. Ceux de Tunis, à l’époque où je les ai visités, avaient gardé bien de la saveur. Les femmes y portaient encore l’habillement légué par le passé. Pas de noir et pas de voiles quand on est à la maison. De larges et ballonnantes culottes de soie tombées jusqu’aux pieds, surmontées par un petit boléro brodé ; sur la tête un joli mouchoir multicolore. Femmes et jeunes filles évoluent dans ces pièces sombres, ces loggias prévues pour les chaleurs et qui s’ouvrent largement sur le patio, cour intérieure où quelque fraîche fontaine chante dans sa faïence aux vives couleurs, parmi les fleurs et dans l’ombre des arbres. En général, un vaste salon à l’européenne dans lequel on me faisait entrer était l’ornement principal et la fierté de la demeure. Là-dedans régnaient la symétrie la plus protocolaire, la plus réfrigérante atmosphère. Jusqu’à quatre immenses canapés se faisaient face, tendus de peluche écarlate ou vert cru, dont le bois doré, qu’on entretenait à l’état flamboyant de neuf, se contournait en lourdes sculptures ; et j’ai vu dans un de ces terribles salons douze armoires à glace identiquement pareilles et dorées aussi, sans rien dire des oiseaux mécaniques et boîtes à musique qui faisaient déjà prévoir la vogue des phonos et des postes de radio.

Pour me faire pénétrer au milieu de ces splendeurs, la dame qui me recevait, tout comme dans le reste de sa maison, entrait délibérément la première, forme pour nous déconcertante des us et coutumes de l’Orient, et qui correspond exactement à la loi grammaticale qui veut qu’on dise en arabe « moi et toi » et non pas « toi et moi ».

Comme je ne savais pas encore un mot de la langue, après les saluts, les sourires, la tasse de café, les douceurs sucrées, plus rien ne restait à faire que s’entre-regarder.

Des touristes françaises m’ont autrefois raconté