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El Arab

Évidemment on voit, dans le bas peuple mahométan, des hommes frapper leurs femmes ou leur imposer des travaux d’esclave. N’avons-nous pas l’équivalent dans nos familles ouvrières où, trop souvent, la femme est un héros de courage et de labeur, alors que le mari n’est qu’un triste ivrogne qui boit sa paye et maltraite et sa compagne et ses petits ?

Mais regardons le monde musulman qui correspond à notre classe bourgeoise. Là, jusqu’à ces derniers temps du moins, l’épouse était non pas le coq mais la poule en pâte qui n’a qu’à se laisser vivre sans connaître aucun souci matériel. Et jamais de célibataires. De vieilles filles, point. Seules les chanteuses, parce que telle est leur fantaisie, déclarent avoir épousé la musique, et ne se marient pas.

Ces conditions de l’existence féminine, l’Islam évolué d’aujourd’hui ne les connaîtra forcément plus. Aux musulmanes qui votent, écrivent dans les journaux, font des conférences, sont féministes, la dure nécessité, désormais, de connaître nos responsabilités, nos difficultés ; à elles cet enfer qui s’appelle gagner sa vie.

N’ont-elles pas perdu quelque chose au change ? Elles ne sont plus « ce qui est sacré », l’être précieux et bien caché pour lequel la jalousie masculine voulait le mystère du harem et du voile de visage. Du reste, on ne nous l’a pas dit, mais, au moment de la vague de libération ordonnée par Kémal-Pacha, certaines dames turques ont préféré se suicider qu’entrer dans cette ère nouvelle qui les épouvantait.

Sait-on, pour un musulman resté de l’ancien régime, que la femme est si réellement « ce qui est sacré » qu’on ne doit même pas, entre hommes, se permettre de parler d’elle ? « Ta femme » est un mot qui ne se prononce pas, la dernière des grossièretés. En cas de maladie, par exemple, s’il demande à son intime ami des nouvelles de sa compagne, le musulman, tout en détournant les yeux, murmurera : « Comment va ta maison ? », ou encore : « Comment vont-ils. »

On comprend alors pourquoi chaque musulman se fait