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El Arab

qui la secouaient. Et je jure que pas un détail de mon habillement ne fut oublié. Le tout sans cesser de hurler.

La capacité de concentration des enfants d’Ismaël ne comporte pas de longue durée. Même s’il s’agit de la chose la plus grave, ils ne résistent pas à ce qui vient les en distraire, fût-ce une futilité ; réaction simiesque propre aux Sémites, et qu’on retrouve, identique, dans l’autre branche de la descendance d’Abraham.

La période la plus brillante de ce que j’appellerai Tunis intrinsèque, c’est-à-dire arabe, est certainement (était, en tout cas) la période du Ramadan.

Tout le monde sait, je pense, que le Ramadan est le mois où l’Islam jeûne. Ce n’est pas le carême de chez nous. C’est strictement ne rien manger ni boire du lever du soleil à son coucher, et cela tant que dure le mois. Seulement quand la nuit est venue sont permises nourritures et boissons ; et si, dans le désert, le monde bédouin s’arrange de quelques dattes et d’un peu d’eau (répondant de la sorte à l’esprit du Coran), on se doute de ce que les villes, elles, déploient de fêtes et de festins pendant ces heures nocturnes où l’appétit et la gourmandise ont enfin le droit de se satisfaire après une interminable journée d’inanition.

Combien j’adorais ces nuits, leur joyeuse foule exclusivement mâle, burnous blancs ou robes colorées, les petits enfants amoureusement portés sur le bras paternal, tendant leurs mignonnes mains vers tous les clinquants dont brillait l’obscurité, et la rumeur rauque des voix surexcitées, et la chanson des marchands, et le nasillement d’une flûte primitive, et les souffles du vent poivré par les épices, et les petites boutiques illuminées de bougies où la pâtisserie arabe, gorgée de miel, étageait tant de gâteaux lourdement façonnés, chacun surmonté d’un œillet ou d’une rose !

L’annonce des réjouissances avait, à l’heure du couchant, rempli les cafés maures d’une foule impatiente