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El Arab

ennemi longtemps cherché passait au bout de tes terres, juste à cette minute-là. C’est pour ça que je suis allé le tuer avant de finir mon café. »


On se figure aisément quelle fut mon impatience lorsque Moutran Pacha, à Baâlbeck, me promit formellement qu’il me présenterait en chair et en os un de ces brigands.

Celui-là venait de faire sa soumission pour six mois. Pendant six mois il resterait dans la ville, et personne n’aurait rien à redouter de lui.

Nous étions venus à Baâlbeck pour voir les ruines romaines, naturellement, ces immensités encore debout malgré Tamerlan et les siècles.

J’en restais éblouie, et bien satisfaite aussi d’une petite jument appelée Féhima qu’on avait lâchée dans les antiquités et qui, sur un coup de sifflet, m’était revenue au galop, empressée comme un chien.

Un goûter nous attendait chez Moutran Pacha. La famille réunie nous accueillit avec des sourires complices. On nous fit passer dans un petit salon ; et, là, je compris ; que j’étais en face du brigand.

Chrétien ? Musulman ? Ansarié ?… Quoi ? Je ne sais Le costume ne diffère pas. Jeune et blond avec des yeux bleus, ce qui n’est pas du tout rare en Syrie, il portait le somptueux manteau du vrai Bédouin, fort différent du Bédouin algérien. Ce manteau, soie rouge brodée d’or, flottait autour de lui, recouvert en partie par le voile de tête à raies multicolores que fixent autour du crâne ces cordes dorées qu’on appelle égâls et qui figurent si bien une couronne de roi. Des poignards dans la ceinture, des bottes de quatre couleurs, une belle barbe fauve et toute la noblesse de la race dans son port de tête, le brigand saluait avec bénédictions et compliments, mais sans nulle obséquiosité.

Moutran Pacha voulut le faire asseoir sur le canapé, mais sans y réussir. Il aima mieux s’installer par terre, les jambes repliées sous lui.