Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
239
La Syrie

Les pauvres gens ne les redoutaient pas. On connaissait leurs mœurs. Ils ne s’attaquaient qu’aux riches, ceux qui voyagent imprudemment dans le Liban. On savait même qu’une belle parole, quelquefois, un mot qui savait toucher leur cœur les arrêtait dans leur entreprise et qu’ils pouvaient alors faire grâce. Chacun d’eux, sans s’occuper de ses collègues, vivait à sa mode, entouré de ses gens, et, nomade, transportait son campement ici puis là, selon les besoins de la cause.

Notre grand ami Habib bey Pharaon, qui possédait des magnaneries dans les hauteurs, connaissait personnellement deux ou trois de ces romanesques brigands.

Il nous raconte :

Je ne vous dirai pas son nom. C’était un chrétien, voilà tout ce que je peux dire. Une nuit qu’il campait dans un creux de roche avec son monde, les toiles de sa tente s’écartent. Il met la main à son fusil, ses compagnons s’élancent. Et qu’est-ce qu’ils voient ? Une femme. Une musulmane voilée, toute jeune. « Je suis venue pour t’accuser, commence-t-elle. Tu as taché tes mains de sang. Tous ceux que tu as tués sont derrière moi pour te maudire… » Elle a continué longtemps comme ça, pendant que l’autre rapprochait terriblement ses sourcils. Quand elle a eu terminé son procès : « Cette nuit, j’ai quelque chose de plus particulier à te dire, ô maudit ! Je suis venue de bien loin à pied dans la montagne pour cela. » — Et qu’est-ce que c’est ?… questionne-t-il, furieux. — Ce que c’est ? Je veux un enfant de toi ! »

Une autre histoire :

— J’en avais un chez moi, ce matin-là, venu me faire une visite de trois jours. On nous apporte le café. Comme il avait humé la moitié de sa tasse : « J’ai une petite course à faire pas loin d’ici. Que mon café m’attende. Je reviens le finir dans un moment. » En effet, au bout de quelques minutes, le voilà. C’était un musulman. Je ne pouvais pas l’interroger avant trois jours révolus, étant mon hôte. Au bout de trois jours, comme il allait partir :

« Quelle était cette course dans la montagne, ô ami ? » Et, tranquillement, il me répond : « Je savais qu’un