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El Arab

— Ce soir encore je l’ai manqué. Mais, inschallah ! Je finirai par réussir.

— Et pourquoi te promènes-tu dans les ruines ? Et à qui parlais-tu tout à l’heure ?

À défaut de mieux, il fait son métier. Son métier c’est d’être Haoui, ou « serpentier ». Son père l’était avant lui, ses ancêtres avant son père. Il est chargé par toute la région de découvrir et de capter les serpents ou scorpions qui se cachent dans des coins insoupçonnables, même au fond des maisons.

— Voulez-vous voir comment je fais ?

Oui, nous voulons voir. Nous marchons sans bruit derrière lui. Les incantations ont repris. Manches relevées plus haut que le coude, le Haoui déclame, tout en balançant ses bras en mesure : « Ô toi, serpent, fils de serpent, petit-fils de serpent, viens ! Accours ! Apparais !… Par les vertus de Soleïman ben Daoûd, viens ! Accours ! Apparais ! »

Si je ne l’avais vu de mes yeux je ne croirais pas la chose vraisemblable. Au bout d’un moment, de sous la brousse courte qui rampe dans les ruines, s’avance en ondulant, rapide, dangereux, un long cobra noir. Arrêté devant l’incantateur, il se dresse debout, l’éventail large ouvert, les yeux aigus, et regarde fixement son ennemi. Celui-ci tend son bras dénudé. Le cobra, déclic terrible, s’élance, mord, et reste suspendu dans le vide, tandis que l’homme nous fait constater que les crochets sont bien enfoncés dans sa chair. Puis il arrache la bête et la jette dans le panier rond à couvercle qu’il portait en bandoulière. Le bras saigne.

La morsure du cobra, chacun le sait, est mortelle. J. C. Mardrus interroge.

— Tous les serpents peuvent me mordre, dit le Haoui. Mon père m’a fait boire étant enfant un remède qui rend pour moi leur venin inoffensif.

— Et qu’est-ce que tu vas faire de ce cobra ?

— Un Haoui ne doit jamais tuer un serpent. Je le laisserai mourir de faim dans l’endroit qu’il faut.

Il s’interrompt, l’œil au guet.