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El Arab

se tient debout, complet kaki, casque blanc et gros souliers jaunes. Or voici la chanson qu’ont inventée pour lui les petits garçons musulmans qui transportent sur leur tête, dans des paniers, la terre des déblaiements :

« Notre Directeur, ô charme de sa perfection ! Qu’Allah consolide sa ceinture ! — Notre Directeur a déployé son parasol — Et voici que son navire doré vogue devant lui. — Notre directeur est chaussé de la botte turque. — Son manteau est d’or et d’argent. Ô Nuit ! Ô Nuit !… Certes, notre directeur est monté sur un étalon de race pure ! — Ô beauté du travail dans les ruines — Ha ! Ô Nuit ! Ha ! Ô Nuit !… »

Courant, sautant, allant, venant, ils chantent cela, ces petits. Et leur travail toujours le même en est tout enivré. Ils ne comprennent pas le sens de ce qu’on leur fait faire, ils ne savent pas qu’ils sont les descendants. Mais ils chantent comme ont dû chanter leurs pères lorsqu’ils édifiaient ces temples qu’on relève aujourd’hui, ou bien lorsqu’ils construisaient les pyramides ; et le même lyrisme inné qui devait exalter ceux-ci continue à exalter ceux-là, puisqu’il leur fait voir en bottes turques et en manteau d’or leur chef de fouilles vêtu d’un complet kaki, d’un casque blanc et de gros souliers jaunes.


M. Legrain nous fit un soir les honneurs de sa dernière trouvaille. Ce qu’il avait découvert dans la poudre d’or de ses fouilles, c’était, un peu plus haute qu’un être humain, la statue en bronze de la déesse Maut à tête de chat.

Pour nous présenter ce trésor il avait organisé comme une petite fête nocturne, du reste tenue jalousement secrète pour des raisons qui m’échappent.

Installée au fond d’un vestige de temple, la déesse, tout debout dans le coin le plus sombre, attendait ce modeste cortège : M. Legrain, mon mari et moi, plus une dame de passage, érudite égyptologue.

Le parcours que nous avions à suivre pour aller au sanctuaire fantôme était éclairé de deux rangs de veil-