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Le Caire

pas ; Ils ont les yeux hors de la tête, la bouche écumante. Hypnotisés, ils vont vers leur but : la mosquée interdite.

C’est devant son seuil que la police est chargée de les disperser.


Comment mon mari fit-il ? Je ne sais pas. Mais, alors que le cortège, à défaut de mieux, se décidait à envahir cette petite coupole religieuse, j’eus la stupéfaction de voir qu’on nous laissait, nous, Roumis, nous, chrétiens, y entrer avec cette foule masculine barbouillée de sang.

Immobiles et debout parmi les tournoiements, c’est là que nous allons suivre dans tous ses détails la fin de la ’Achoura.

Au fond de la coupole se tient le récitant, longs cheveux noirs répandus sur les épaules, simarre immaculée.

Il préside avec le plus grand calme. Seul son regard règle les mouvements. Les fanatiques ont dévêtu leur torse. Ils saisissent à deux mains les paquets de lourdes chaînes dont ils vont eux-mêmes flageller leurs dos nus. On entendra tout à l’heure, pour scander les strophes du récitant, le coup sourd de cent chaînons de fer sur la chair en sueur.

Et le féroce ballet commence.

En attendant leur tour, certains s’enfoncent les doigts dans l’orbite, tirent leur œil au dehors et le laissent reprendre sa place avec un claquement mouillé.

… Je mentirais si je disais que, cette nuit-là, je ne ressentis pas quelque chose qui ressemblait à de l’horreur.

Le point le plus intéressant de la ’Achoura, le voici. Dès le lendemain matin nous nous rendons au souk des Persans. Ils sont tous là, les aliénés de la veille ! Ce sont des modestes petits marchands accroupis au milieu de leur échoppe, savetiers, bijoutiers, épicier, parfumeurs, et la suite. Sur leur tête tailladée ils ont tranquillement