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El Arab

d’une voix basse et pleine de honte : « Ma irîde che… (il n’a pas voulu… »)

Rien de plus. Le Saïed fit semblant de n’avoir pas entendu. Deux sous de crédit qu’on lui refusait chez son épicier cela voulait dire trop de choses.

— Mes amis, fit-il, nous allons passer — bah ! dah ! — dans une autre salle — bah ! — si vous le voulez bien !


Les dix-sept nuits du Mouled…

À la fenêtre grande ouverte d’une salle d’en bas, nous sommes assis avec le saïed, fascinés par ce qui se passe dans la cour de son palais. Entre des murs fauves et crénelés, à la seule lueur des torches qu’ils tiennent à la main, des cortèges se succèdent, chacun faisant une station plus ou moins longue devant le chef de la noblesse musulmane — qui ne regarde rien. Nous l’intéressons certes beaucoup plus que ces manifestations religieuses déployées pour lui !

Aucun des ballets russes de l’époque de Bakst, à l’Opéra, n’eut la couleur, la fureur, la nouveauté de ce que nous voyons à cette vaste fenêtre, seuls spectateurs d’une féerie pareille. Je ne suis pas encore remise à l’heure qu’il est d’une entrée de nègres vêtus aux couleurs bleues de l’Égypte ancienne, un pan de leur turban turquoise retombant jusque sur l’épaule droite, ni du zicre qu’ils exécutèrent à deux pas de nous sous l’azur nocturne, leur bâton de résine enflammée dansant en mesure avec eux sur un fond de tambours et de flûtes à donner le frisson.

Le fanatisme grandissait à mesure que se remplissait la cour sarrasine. Il atteignit son paroxysme, cette première nuit, avec les mangeurs de feu. Les daraboukkas au rythme incantatoire peu à peu les mettaient en transe, un d’abord, puis deux, puis trois. Et voilà des hommes tout à l’heure majestueux et calmes, en proie à la sorte d’épilepsie progressive qui va les faire se rouler par terre en écumant puis enfin, d’un geste irrésistible, se jeter sur le feu qu’ils allumèrent si tranquillement quelques ins-