Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
El Arab

La politesse interdit à mon mari d’expliquer au ministre, séance tenante, ce que l’Effendi vient de lui dire : « Nous, musulmans, nous ne pouvons admettre votre Trinité chrétienne. Mais cela n’empêche pas entre nous l’amitié. » Sitôt faite cette surprenante déclaration il a fallu se taire, d’ailleurs, car les chanteurs du Mouled commençaient à psalmodier.


Le nouveau-né qui sera le Prophète. Mohammad, couché dans son berceau, reçoit la visite de deux anges, l’un de saphir et l’autre de rubis. « Ouvre ton cœur, disent-ils, pour y recevoir les dons que nous t’apportons. » L’enfant ayant obéi, l’ange de saphir et l’ange de rubis déposent dans son cœur la sagesse, l’intégrité, la vertu, l’esprit de justice, l’obéissance à Allah, la beauté du verbe et tout ce qu’on verra plus tard se développer dans sa vie bénie. Quand leur offrande est terminée, au lieu de refermer son cœur pour y cacher de tels trésors, le nouveau-né l’ouvre plus grand au contraire et leur crie : « Encore ! Encore ! » Mais les deux anges lui répondent : « Nous n’avons plus rien à te donner. »


Tel est à peu près le sens de ce qui se chantait derrière les moucharabys. L’assistance écoutait, assise, immobile, religieuse. À certains mots Nazli hanem et la troupe des filles avec elle se recouvraient un instant la tête et la figure de leur voile, pendant que les homme s’inclinaient. Puis venait une pause. Alors toutes les voix se remettaient à babiller, les sucreries à circuler, et, tournée vers M. Caillaux, la princesse commençait tout de suite : « Excellence, je vous dis la vérité. Lord Cromer… »

Ce Mouled se prolongea tard dans la nuit. J’avais fini par m’allonger sur un des divans du plus petit salon, à mes côtés Ouassîla sur un fauteuil, assis par terre à mes pieds le prince Haïdar. Il ne me ressassait pas comme Mustapha pacha, frère de Nazli, que j’étais un ange,