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El Arab

Est-ce parce qu’elles en sont au même degré de culture européenne (disons de parisianisation) que leurs égales de Constantinople qu’on les appelle « dames turques », alors qu’elles sont égyptiennes ? Ne serait-ce pas plutôt pour obéir à l’instinct inné selon lequel, de quelque pays qu’ils soient, les musulmans aiment à déguiser leur origine véritable ?

J’avoue n’avoir jamais saisi les mobiles de quantité d’entre ceux que j’ai connus dans les milieux évolués. Sans aucune raison quelle qu’elle fût ils tenaient essentiellement à troquer leur nationalité contre celle d’en face. Tunisiens se disant Turcs, Turcs se disant Crétois, Syriens se disant Égyptiens, Égyptiens se disant Tcherkesses, j’ai, dans mon souvenir, toute une collection de ces reniements impossibles à comprendre, à moins d’admettre qu’il y a là quelque félinerie nécessaire, la même que celle qu’on rencontre chez les fauves ; car, du chat au tigre, si les fauves possèdent le génie de la dissimulation, c’est simplement parce qu’il leur fut octroyé par la nature au même titre que leurs crocs et leurs griffes : pour se défendre.


Le monde des dames turques, puisque nous y arrivons, n’a rien qui l’apparente au populaire égyptien, cette fresque toute vivante portraiturée d’avance sur des murs vieux de milliers d’années. Pas plus que les hommes de leur caste elles n’obéissent, quant à l’aspect physique, aux canons rigoureux si miraculeusement respectés dans les classes inférieures. Pour tout dire il n’y a pas, dans la haute société du Caire et d’ailleurs, de type égyptien. De peaux cuivrées, point. Les yeux ne sont pas forcément noirs. Les cheveux peuvent aller jusqu’au châtain clair et jusqu’au roux. C’est là que la succession des races