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Le Caire

Après bien des détours par des ruelles encombrées de détritus de toutes sortes, c’est enfin la porte du couvent, vaste construction qui semble à moitié démolie comme beaucoup d’autres du Vieux Caire. Au sortir du soleil, l’impression est d’entrer dans un abîme d’ombre. Une puanteur épouvantable nous assaille. On dirait que la peste couve dans tous les recoins. Claudios nous dirige vers un escalier de pierre dont les marches se disjoignent. Les yeux s’habituent. J’aperçois, dans un renfoncement plus noir que le reste, un être humain, une femme, attelée comme un animal, et qui tourne autour d’une espèce de moulin.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— C’est une des sœurs qui fait sa corvée de semaine. Elle moud le café de la communauté.

— Mais ça ne lui donne pas le vertige de tourner comme ça ?

— Elle ne s’en aperçoit pas. Elle est aveugle.

Cela valait-il notre frisson ? Elles l’étaient toutes, aveugles, les sœurs de ce couvent copte. On ne l’avait pas fait exprès. Hasards de l’ophtalmie purulente égyptienne.

Dans le long couloir auquel nous aboutissions, nous vîmes s’enfuir au bruit de nos pas et de nos voix toute une troupe de ces aveugles. Elles étaient entièrement vêtues de noir, et leurs voiles de tête volaient autour d’elles. Gardaient-elles le souvenir d’on ne savait quelle invasion de jadis ? Toutes, en talonnant pour se sauver, levaient le bras droit, montrant leur poignet tatoué d’une croix, geste d’épouvante, pauvre espoir de protection.

Rassurées par Claudios, elles se calmèrent enfin, juste comme nous arrivions à la porte de la Mère Supérieure. Là, Claudios se retira discrètement.


C’était une toute petite pièce obscure. Sur un divan poussiéreux garni de vieux coussins épars, une forme, épaisse, ensevelie sous des voiles noirs superposés, remua, se redressa, tendit l’oreille à notre approche. Assise à la