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El Arab

Dans une étroite et solitaire rue rousse où nous passions, nous vîmes, un soir, une assemblée musulmane réunie devant la porte d’une maison. Au haut de cette petite estrade, un récitateur assis sur un banc ajouré, psalmodiait des passages du Coran, religieusement écouté par tous, ce qui n’empêchait pas les boissons douces et les cigarettes de circuler. Au pied de l’estrade, un vieillard aux yeux tristes souriait à ses hôtes. Il nous fit signe, dès qu’il nous aperçut, de prendre place parmi ses amis. Hospitalité de l’Islam. On s’empressa de nous apporter sirops et cigarettes. Je ne savais pas où nous étions. J. C. Mardrus me le dit à voix basse. Le vieillard venait de perdre son fils, et cette sereine soirée était donnée en signe de deuil.


Cela, c’est l’Égypte. C’était l’Égypte aussi ce que je n’avais pas compris dans le cimetière d’Alexandrie : le génie, le besoin, l’indispensable nécessité de l’extériorisation par le rythme. Dans mes voyages précédents j’avais déjà constaté cette particularité de l’âme orientale. Ici, au Caire, et plus tard dans le Sud-Égyptien, je devais m’apercevoir que le rythme s’incorporait à la vie même des êtres, réglait leurs chagrins et leurs joies, leurs élans religieux et leurs efforts quotidiens, et, parfois, jusqu’à leurs gestes les plus insignifiants.


Trois ou quatre femmes à cassâba sortent d’une blanchisserie roumi, ayant sur la tête les ballots de linge qu’on les charge de distribuer en ville. Je m’arrête à les regarder, à les écouter. Elles ne mettent un pied devant l’autre, marchent à pas comptés, car les fardeaux sont lourds, qu’en accompagnant cette marche sans hâte de je ne sais quelles syllabes correspondantes qu’elle disent tout haut et en mesure. Elles le font sans s’être concer-