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El Arab

sauterie, d’attirer chaque semaine dans notre hôtel, le soir, toute une société anglaise, officiers et ladies qui valsaient aux sons d’un bon petit orchestre, non sans qu’un luxueux mélange de toutes sortes de races complétât le gentil bal.

L’élément britannique, ce n’était guère que par de telles mondanités qu’on s’apercevait de son existence. Rien, par ailleurs, qui le rappelât. Toutes les enseignes de tous les magasins du Caire moderne, grands et petits, étaient rédigées en français, tous les commerçants, tous les beys, tous les pachas — et les grands harems aussi — parlaient le français (mais non l’anglais). En un mot l’emprise de la France, bien que sans mandat, semblait être la seule véritable sur le sol égyptien.

Après avoir salué le Sphinx, et, de près, les Pyramides ; fait une première visite au musée ; vu le tombeau des khalifes, El Azhar et autres majestés dont je ne dirai rien, n’ayant pour objet ici ni de les décrire ni de répéter les poèmes ou les proses qu’elles m’inspirèrent, nous commençâmes, ayant devant nous tout le temps souhaitable, à vivre le Caire autrement qu’en touristes.

Si je ferme les yeux pour retrouver mes impressions de ce Caire-là (l’indigène), je vois une immense ville aux couleurs du lion, ses maisons étroitement collées les unes aux autres dans le bleu de cobalt d’un beau temps invariable, leurs étages se superposant avec des légèretés d’échafaudages, leur vétusté couverte d’une fine poussière d’or ; je sens les roues de nos voitures (ou nos pieds), s’avancer partout comme sur de la peau de Suède ; je suis obsédée par le circuit perpétuel et le sifflet des éperviers au-dessus des rues ; intriguée par les musulmanes, celles au bec d’or, d’autres dont le long voile de visage est blanc, ou encore, dans leurs belles voitures, celles, appelées « dames turques », qui portent le yachemack, cette mousseline mêlée de roses déjà tant goûtée à Constantinople. Et je respire, impossible, à définir, l’odeur de