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El Arab

un ouragan de vociférations sans nom, tout en se battant et battant presque les passagers pour leur arracher leurs valises, et recevant en même temps les grands coups de canne distribués au hasard par on ne savait quels surveillants enragés.

Sortis enfin de cette bagarre, quand nous eûmes repris respiration je pus me rendre compte, le long des grands quais tout neufs d’Alexandrie, qu’à défaut d’un reflet quelconque des temps d’avant Jésus-Christ, exactement comme par le passé, cela va de soi, la ville s’étendait au bord d’une Méditerranée d’un bleu si foncé qu’il en était noir, et d’autant plus noir que la petite voile qu’on voyait perdue toute seule au large, point unique de blancheur sur un tel indigo, faisait violemment contraste avec toute la mer.

L’azur éternel qui flamboyait au-dessus de cette dure marine m’avertissait. Jusqu’où pouvait aller en certaines saisons la chaleur égyptienne ? N’arrivions-nous pas d’une France déjà frileuse où commençait notre sombre mois de novembre ?


2 novembre, en effet. Jour des Morts.

Sitôt nos dispositions prises à l’hôtel où nous ne resterions qu’une journée, après un tour au musée (quelques restes ptolémaïques), et puisque la ville, entièrement modernisée, n’avait aucun charme à nous offrir, mon mari trouva le moyen de m’emmener vers de l’inédit.

Dans le cimetière catholique d’Alexandrie, en ce jour d’honorer les morts, il y avait surtout des musulmans, jeunes hommes fort occupés à verser des arrosoirs d’eau sur les pierres tombales.

Ces autochtones dont les ancêtres momifiés figurent dans tous les musées de l’Europe gardaient, dans la carrure des épaules, l’étroitesse des hanches, l’élégance du long cou cuivré, même jusque dans leurs traits, la frappe de l’Égypte antique. Leur habillement volontiers sombre, longue robe aux manches qui dépassent les