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El Arab

le Dédé se leva, mit ses bras dans la pose rituelle, posa sa tête sur son épaule, et se mit à tourner. Il n’avait pas la robe voulue. La foule de ses compagnons manquait. Tout seul dans ce pauvre salon, son tourbillon ne voulait rien dire. Heureusement la valse (car on nous avait annoncé que c’en était une) s’arrêta. Peu après nous prenions congé.

— J’ai obtenu trois jours pour venir vous voir, nous dit Salaheddîne dès que nous fûmes dehors. Je ne pouvais donc pas vous savoir en Turquie, mes amis, et rester tranquille où j’étais !

Aussitôt il reprit :

— Tout à l’heure j’ai dansé par politesse pour ce derviche. Mais sa musique ne m’a pas parlé.

Au mépris qu’il contenait avec peine s’ajoutait une amère jalousie qu’il exprima par :

— Maintenant vous allez le voir tous les jours, ce derviche ?

Quand nous l’eûmes assuré que non, que nous ne retournerions même pas chez lui, je sentis qu’il respirait mieux.

Trois jours encore de soufisme dans le décor le plus propice ; et puis il fallut recommencer les adieux.

« Je viendrai vous voir en France !… » fut le dernier mot de Salaheddîne. Il le dit avec son plus beau regard de visionnaire ; et, puisqu’il était venu nous retrouver à Brousse, ce rêve improbable me parut presque possible.