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Brousse

plus faible, lequel s’arrête enfin, en même temps que cesse le balancement qui l’accompagnait.


Ce nouveau derviche (j’oublie son nom) était venu spontanément nous aborder à l’issue de la cérémonie que nous avions eu la curiosité d’aller voir. Rien, sur son souriant visage, ne restait de la furieuse manifestation dont il venait de faire partie. Une plus longue pratique de l’Orient allait un jour m’apprendre que ces crises religieuses de l’Islam, à quelques excès qu’elles se livrent, éclatent comme un coup de foudre, pour s’arrêter net sans laisser aucune trace de leur passage. La transition entre la folie momentanée et le plus tranquille état normal est totalement supprimée.

Dévoré de l’envie de nous recevoir chez lui, le derviche hurleur, jeune homme quelconque qui parlait bien le français, nous dit qu’il était l’ami de notre pays, que, musicien, c’était avec un de nos compatriotes qu’il avait appris à noter la musique (celle de l’Orient ne se transmet que par tradition et n’a pas d’écriture) et qu’il serait heureux de nous faire entendre sur son violoncelle ce qu’il avait composé, sachant bien que nous serions, nous, les compétences qu’il ne trouvait pas à Brousse. Car ce n’était pas de la musique turque qu’il écrivait, mais de la musique européenne.

Assis le lendemain dans son salon à prétentions également européennes, nous l’écoutions depuis près d’une heure nous jouer, sur son violoncelle incertain, ce qu’il croyait être des valses et des menuets, innocente, informe cacophonie. La porte s’ouvrit, et Salaheddîne entra.

Comment il avait pu, dans toute cette grande ville de Brousse, deviner où nous étions, inutile de nous le demander. Même un enfant, en Orient, trouve par simple flair ce qu’aucun Roumi ne saurait, malgré mille recherches, découvrir.

Après exclamations, protestations et présentations, la musique reprit. Au bout de trois couacs du violoncelle