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Brousse

Pour obéir à sa volonté, ce n’est pas une pierre qui le recouvre mais de la terre dais laquelle on sème fidèlement l’herbe demandée, la coupole du mausolée étant large ouverte sur le ciel pour permettre aux oiseaux de venir boire dans l’auget toujours rempli d’eau pour eux.

M. Bey, consul de France, nous avait fait faire le tour de ses fontaines (car sa vocation semblait être d’en doter la ville), ravissantes fontaines où le style oriental était amoureusement respecté. Ce gentil vieux monsieur nous fit connaître aussi l’Hôpital des Gigognes, une touchante particularité de Brousse.

L’Hôpital des Cigognes avait été fondé par la corporation des savetiers. Chacun d’eux donnait un sou par semaine pour son entretien. C’était, au milieu des petites boutiques où se vendaient les babouches, un hangar fait de quelques planches à même la terre et la poussière. Dans ce réduit sans prétentions on voyait boitiller une demi-douzaine de cigognes, l’air tout à fait chez elles, et parfaitement apprivoisées. Nourries, logées et soignées, elles ne semblaient pas pressées de reprendre leur liberté. Du reste, elles n’étaient pas prisonnières. Mais, tombées en plein vol pendant une des émigrations de la race, elles s’étaient cassé l’aile ou la patte, et ne pouvaient songer à repartir qu’une fois bien guéries.

On leur fit prendre leur repas devant nous. Satisfaites, elles renversaient le cou pour claquer du bec vers le ciel. Par l’intermédiaire de M. Bey qui parlait couramment le turc, je demandai la raison de ces manifestations. Un des savetiers répondit que « c’était pour faire un petit bruit d’os ».

— Pourquoi, questionnai-je encore, y a-t-il parmi les cigognes ce vilain vautour qui ne semble pas blessé, lui ?

La réponse fut :

— On l’a pris parce qu’on l’a trouvé tout seul dans une rue, et qui ne bougeait pas. Il n’est pas blessé, c’est