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El Arab

sépulcre couleur de mer et de ciel, couleur du temps : faïences. Par le grillage des ouvertures entrent quelques rosiers fleuris. Silence absolu. Personne. Dehors, le minaret, longue cire religieuse, monte dans l’azur du plein été.

Partout d’autres minarets l’accompagnent dans son élan vers le haut. Brousse, comme Constantinople, multiplie ces étroites tours qui donnent aux villes turques leur élégance aérienne. À Brousse, ces tours ivoirines perdues dans le ciel ont leur réponse en plein sol, et leur contraste aussi, par la profusion de sombres cyprès processionnant le long des hauteurs que domine l’Olympe de Bithynie.

Ces cyprès, on les voit, l’un derrière l’autre, commencer l’ascension. Leur départ se fait ici dans le creux d’une vallée riche de verdure. On s’informe. L’endroit s’appelle « le cimetière des Poètes. »

Au milieu de tant de minarets pâles et de cyprès noirs, l’ancienne capitale de l’empire ottoman trouve sa place, celle de ses jardins, celle de sa rivière, toutes fraîcheurs assemblées, fraîche elle-même dans son ancienneté purement orientale, et d’une folle gaieté tant ses couleurs sont vives.

Un pont traverse la rivière. Il est couvert sur ses côtés d’amusantes maisons qui s’y agrippent, étayées par des béquilles rouges, bleues, jaunes. Les passants sont un ballet de beaux costumes où se révèle, légué par les siècles, le raffinement exquis de cette Turquie autrefois marquée, on peut le dire, par une suprême distinction. Pas un tarbouche. Pas un complet européen. Le plaisir du goût royalement, intégralement accordé.

(… Sur ce pont, dans cette ville, la casquette cycliste d’aujourd’hui) !

Du haut de ce pont on voit, à ras de l’eau, la grosse tour à demi ruinée qui s’est coiffée d’un si beau chapeau de feuilles et de fleurs. En avançant on trouvera des mosquées encore, dont celle dont je ne sais plus quel sultan qui voulut de l’herbe sur sa tombe, et le va-et-vient des oiseaux au-dessus de lui.