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Brousse

Ce n’était pas pour rentrer en France que nous quittions Constantinople, mais pour aller à Brousse en Turquie d’Asie.

D’être restée éminemment turque, cette ville avait fait les délices des quelques poètes d’Occident assez heureux pour l’avoir visitée. Sa Mosquée Verte tourmentait les imaginations européennes. Mon mari, qui connaissait Brousse, savait bien ce qu’il faisait en m’y emmenant.

Il fallait, pour y arriver, passer par le port de Moudânia sur la mer de Marmara. Seul faisait le service entre Constantinople et ce port un bateau dont le pittoresque était extrême. Les différentes classes n’y étaient séparées les unes des autres que par une convention acceptée — ou presque. Et, comme il n’y avait de places où s’installer que sur le pont, nous pouvions sans nous déranger voir ce qui se passait dans les deuxièmes et les troisièmes classes.

Des Turcs vêtus de cent couleurs, la moustache en croc, roulant des yeux terribles, dansaient entre eux la danse du poignard. D’autres cuisinaient leurs repas sur des petits fourneaux à braise apportés à cet effet. Tout l’avant du bateau, par contre, nous était intercepté par un vaste rideau. Loque pendue sur une corde interminable, sa destination était de cacher les harems embarqués.

Je commençais à connaître assez bien, profondes autant que secrètes, les réactions à peine saisissables du