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El Arab

Qu’as-tu compris à la voix du luth et de la flûte ?

Tu es mon tout, tu es ma suffisance, Amour !


Les rythmes de cette musique, variés à l’infini, ne ressemblent qu’à eux-mêmes. Je pus en noter un ou deux que je frappais autrefois sur mon tar, ou tambour arabe.

Avec avidité j’attendais de voir notre nouvel ami sous ses aspects religieux. La cérémonie, enfin, commença.

Aux sons de leur orchestre haut placé, concert céleste, les derviches (parmi lesquels le nôtre confondu dans la foule des autres), d’abord prosternés en cercle et la tête couverte de leur manteau, se redressent lentement, dégagent peu à peu leur visage, puis se lèvent. Leurs bras, par gestes successifs, s’ouvrent solennellement, l’un dirigé vers le ciel, l’autre vers la terre ; et, les yeux révulsés par leur crise mystique, la tête renversée sur une épaule, ils se mettent à tourner, d’abord sans hâte puis de plus en plus vite, étroite giration sur soi-même dirigée en même temps, selon une vaste circonférence, autour de l’Animateur, le seul qui ne tourne pas et qui, debout au milieu de la danse, la dirige sans un geste, rien que par présence fluidique.

Vêtus de longues robes blanches aux multiples et profonds plis, à mesure que l’exaltation augmente la vitesse de leur mouvement, ils se trouvent entourés de cette robe (tous les plis s’étant ouverts), comme d’une immense fleur, un lis prodigieux dont ils forment le centre. Et pas un heurt, pas un frôlement entre ces robes, étalées sur l’air dans toute leur ampleur et séparées les unes des autres seulement par l’épaisseur d’un fil.

Et vous perpétuez, ô frères des étoiles,
Le mouvement qui plaît à Dieu.

Ces deux vers du poème écrit le soir en revenant du Tekkié devaient faire l’enchantement de Salaheddîne.