Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
Constantinople

Il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de pénétrer la pensée orientale. Les seules revendications avouées de mes interlocutrices, et formulées seulement par les jeunes filles :

— Ce que nous voudrions, dit l’une, c’est pouvoir aller au théâtre — dans des baignoires grillagées, bien entendu.

— Ce que nous voudrions surtout, dit l’autre (une paire de beaux yeux bleus sous une noire coiffure à la mode), c’est pouvoir sortir ouvertement avec nos maris. Quand nous sortons seules, il y a l’eunuque, c’est bon ! Mais quand nous avons envie d’être à pied dans les rues avec notre pacha… Vous savez sans doute comment ça se passe ? La femme marche devant et le mari à vingt pas derrière, avec l’air de ne pas la connaître du tout. Ça doit être si gentil, pourtant, de marcher à deux en bavardant !

Sa sœur et toutes les autres se mirent à rire. C’est alors que j’appris ce que je n’aurais jamais su sans elles.

Il y a partout, même en Islam, des femmes qui ne sont pas fidèles. Or n’être pas fidèle, pour une musulmane, c’est risquer la mort, une mort qui peut être terrible, en outre. Mais, sous toutes les latitudes, l’astuce féminine sait s’arranger de la tyrannie mâle.

— Alors, voilà ! Le mari suit sa femme, toujours à vingt pas. Elle l’entraîne dans un quartier encombré. À un moment, dans un remous de passants, elle file, et c’est une amie complice, choisie de la même taille qu’elle, qui la remplace et que le mari suit. Avec le tcharchaff et le voile sur la figure, allez-y reconnaître quelque chose ! L’amie, après toutes sortes de détours, entre chez la couturière grecque. Le mari, lui, n’a pas le droit d’entrer. Il attendra là tout le temps qu’il faudra, sans se douter que sa femme y est depuis longtemps, chez la couturière grecque ! Et, derrière le magasin, il y a des chambres.

Parce qu’on n’est jamais trahi que par les siens, j’appris encore…

— Il y a une grande promenade sur la mer de Marmara : ça s’appelle Fanaraki. Les cavaliers y vont caval-