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El Arab

On nous avait appris qu’à cette époque de l’année les harems de qualité n’étaient déjà plus à Constantinople mais aux environs, dans leurs belles maisons et leurs beaux jardins baignés par le détroit.

M. Huguenin mit à ma disposition son petit yacht. Je me vis par un clair matin embarquée, et complètement seule avec l’équipage. Mes visites étaient partout attendues. Toutes les dames que j’allais voir parlaient le français comme moi. C’est dire qu’elles représentaient le plus raffiné de la société féminine turque.

Le long du parcours marin qui laissait le yacht frôler constamment les côtes, je pus, dès mon premier circuit, apercevoir à courte distance quelques-uns de ces jardins trempés dans le Bosphore. Parfois le harem y prenait le frais, tout un rang de miniatures persanes sous des branches en fleurs.

Pas de voiles de visage. Je savais déjà qu’à la campagne il n’était pas obligatoire d’en porter, savais que seul le voile de tête, qui cache jalousement les cheveux, était exigé. Cela parce que le Prophète Mohammad, jadis, s’était senti tenté par la chevelure de zeïnab, épouse légitime d’un de ses compagnons. Comprenant ce que les belles boucles d’une femme peuvent susciter de désir dans le cœur du plus sage des hommes, il s’était empressé d’établir l’inflexible loi, la seule qui soit véritablement coranique : pas un cheveu visible autour du visage féminin.

Les légères couleurs dont s’enveloppaient étroitement, religieusement, les têtes de mes miniatures, c’était autant de grandes corolles nuancées de rose, de jaune, de bleu, de mauve, alignées là pour répondre aux fleurs en suspens des arbres de mai, aux petits bouquets que le printemps avait disposés çà et là sur les gazons.

Mon premier harem m’invitait à déjeuner puis à passer l’après-midi dans la maison et le jardin en sa compagnie. Il était composé d’une mère, de ses deux filles, de deux ou trois parentes et de la petite foule des servantes qui gravitaient autour de ces hanoums.

Sitôt le yacht atterri, l’eunuque qui m’attendait sur