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El Arab

Lors d’une de mes visites aux harems, l’occasion me fut donnée d’échanger quelques mots avec un eunuque. Celui-là, tout jeune encore, était un nègre né en Égypte. Mon arabe, qui se perfectionnait, me permit, ayant appris son origine, de répondre à son salut dans son propre dialecte, celui même que parle mon mari, le plus élégant de tous.

Ravi d’entendre le son de l’Égypte, il continua la conversation. Au bout d’un moment, faite d’une voix plus haute que nature, voici sa réflexion. C’est un de ses mots que, tout à l’heure, j’ai retenu. « Nous autres, dit-il, nous ne sommes que des moitiés d’hommes, bons pour faire les commissions, et c’est tout. »

Mais les dames auxquelles il appartenait vinrent l’interrompre. Je les vis avec surprise le saisir à plusieurs, le jeter sur un divan et l’y chatouiller plus que familièrement avec des rires auxquels, les jambes en l’air, il répondait aussi par des rires, — rires tellement aigus que pas un gosier de petite fille n’en saurait produire de pareils.

Ce fut une minute bizarre à laquelle je devais repenser plus d’une fois.


Avant de me mettre en route pour ces harems auxquels était consacré mon voyage, j’eus encore le temps, soucieuse de tâter d’abord l’atmosphère toute nouvelle du pays, d’assister à l’une des séances de la Chambre des Députés ottomane.

Nous avions fait déjà la connaissance de plusieurs de ceux qu’on appelait alors les Jeunes-Turcs. Tout frémissants encore de leur révolution et aussi de la contre-révolution qui venait d’être étouffée dans l’œuf, ils nous racontaient leurs péripéties. Deux d’entre eux, Djavid et Djaïd, avaient gardé les chapeaux melons, devenus historiques, grâce auxquels, menacés d’assassinat, ils avaient pu s’échapper sans être reconnus.

Avoir troqué le tarbouche islamique contre un couvre-chef chrétien, c’était, pour ces musulmans, le comble de