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El Arab

certain nombre d’heures, ils allaient cesser pour moi d’être une longue rêverie d’enfant ?

J’en fus encore moins sûre quand nous apparut la Corne d’Or qui sépare en deux Constantinople, Péra sur une rive et Stamboul sur l’autre, l’Europe d’un côté, de l’autre l’Asie.

Que devenir à l’aspect inattendu de tant de minces minarets, élancés, dans leur pâleur de cierges, au-dessus de la capitale turque ? Sublimée ainsi par la foi, la troublante ville monte et descend, silhouettes agglutinées, quartiers qui se chevauchent jusque dans l’eau, jusque dans cette Corne d’Or grouillante d’images sans cesse disloquées par les remous de la navigation.

Tout regarder ! Tout visiter !

Sans attendre, engagés à pied sur le célèbre pont de Galata, nous nous sentîmes d’emblée au cœur même de la Turquie, cette Turquie d’alors où l’on croyait, à l’arrivée, débarquer dans la capitale des fées.

Le pont de Galata n’était pas autre chose qu’une suite de bateaux plats recouverts en toute simplicité de planches sur lesquelles circulaient à l’aise piétons et voitures, car sa largeur ne laissait rien à désirer.

Des deux côtés de ce vaste pont toujours tremblant évoluaient des barques retroussées, s’amarraient de grands trois-mâts que des flèches de soleil, papillottant du ciel à l’eau, transformaient en géants lustres de Venise, verrerie irréelle. Dans l’espace, à droite, flottait du rose, à gauche du bleu pâle. Et, sur les planches, toutes les races, tous les costumes.

Ce serait mentir que de dire qu’il n’y avait pas dans ce constant bal paré beaucoup trop de confections européennes surmontées du monotone tarbouche rouge, triste tenue de la bourgeoisie turque à ce moment. Mais enfin le tarbouche c’était encore l’Orient, et le reste des passants corrigeait assez bien ces laideurs, ne se fût-il agi que des énigmatiques musulmanes.

Les harems à pied, silhouettes noires, ne cachaient leur visage que sous de longues voilettes presque transparentes. Les harems en voiture montraient, dans de