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El Arab

tats criminels soient précisément l’œuvre de sa propre race.

Et cependant !…

C’est un paradoxe difficile à concevoir ; mais ce qui fait notre chagrin à nous fait du même coup la joie des victimes. Car, il faut bien le constater : les Orientaux n’ont aucun sens de l’Orient.

Une fellaha du Nil, silhouette restée pharaonique, ne voit pas la moindre différence entre l’urne antique qu’elle porte sur l’épaule et le vieux bidon à pétrole qui la remplace trop souvent. Et le pacha bien parisien, éduqué dans nos lycées, s’il vient à passer par là dans son auto, n’en voit non plus aucune. J’avance même qu’il préfère le bidon à l’urne. Et c’est parce qu’il s’agit avant tout « d’être europin », disent-ils, reniement de leur passé, méconnaissance de leur caractère propre, humiliation qui fait leur orgueil.

Le sens de l’Orient, c’est nous autres les Occidentaux, nous autres les Roumis qui l’avons. (J’entends les Roumis, assez nombreux tout de même, qui ne sont pas des mufles).

Se mêler d’examiner à fond le travail du progrès moderne à travers le monde entier qu’il fanatise (on se demande pourquoi !) ce serait en avoir bien long et bien gros à dire. Je ne veux donc l’envisager qu’au point de vue du présent album de souvenirs. Moralement et matériellement le progrès peut alors se définir : la marche au complet-veston.

Affirmer que le plus pur Bédouin du désert n’attend qu’un premier frôlement de l’Europe pour se muer en rastaquouère, c’est mettre le doigt sur ce qui fâche les nostalgiques dont je suis. Je tiens que, si elle en trouvait le moyen, la Civilisation imposerait ses faux-cols aux fauves de la jungle.

En attendant, couper les nattes des Chinois, dépouiller les Japonais de leurs kimonos, changer les Peaux-