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El Arab

À ce dîner j’appris de l’un de ces messieurs qu’il possédait une villégiature à deux pas du bureau arabe, maison particulière avec jardin. « Venez m’y voir demain, le docteur et vous. Je vous ferai les honneurs. »

Un sourire l’illumina. « J’ai une tonnelle, vous savez ! »

Plusieurs fois pendant le dîner il me reparla de cette tonnelle. Je finissais par être bien curieuse de la voir. Une tonnelle aux extrêmes du désert ?

Cette tonnelle !

Au bout de quelques mètres de sable où poussaient trois ou quatre palmiers étiques (son jardin), le jeune officier s’était fait fabriquer, toujours avec des palmes sèches, une espèce de kiosque désolant qui donnait sur de la poussière brûlée de soleil, amorce d’un chemin dirigé vers nulle part. Il me fit asseoir sur le banc de bois d’où l’on ne voyait rien, puisqu’il n’y avait rien à voir et m’expliqua, très animé, ne se doutant pas de son propre drame :

— Vous comprenez ! Quand je suis sous ma tonnelle, je me figure qu’elle donne sûr une route de France et que, sur cette route, je verrai peut-être passer quelque chose…

Leur grande distraction, c’était le nègre simiesque qui ne pouvait pas s’empêcher, avec la simultanéité d’une ombre portée, d’imiter tous les gestes qu’on faisait devant lui. Une séance eut lieu, donnée en mon honneur. L’officier mettait son bras sur sa tête, le nègre en même temps que lui — et ainsi de suite. Et sans un rire de part et d’autre.

Je dois avouer que c’était plus impressionnant qu’amusant.

Une autre distraction. Celle qui se renouvelait tous les jours à midi juste : le mirage.