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Colomb-Béchard

Ineffaçable reste pour moi cette arrivée. C’était au crépuscule, fugace lumière rouge qui nous découvrit un instant, alignées, identiques, sinistres, les baraques sur deux rangs, formant rue, qui constituaient Colomb-Béchard.

Une colonie pénitentiaire.

Au moment d’être introduits près du colonel, chef de ce poste, qui nous attendait, nous eûmes, avant même d’être descendu de cheval, le temps d’entendre un piano plus faux qu’aucun de ceux du Sud, jouant quelque part, lamentable, l’air du Clair de Lune de Werther. On nous dit que c’était un officier qui charmait ainsi son cafard. Il ne connaissait pas d’autre air, et le recommençait désespérément quand il l’avait fini.

Depuis, je n’ai jamais pu l’entendre, cet air, sans un serrement de cœur. Il était pour moi, ce soir-là, l’aboutissant d’une longue, fatigue à travers le désert, avec l’envie maladive d’arriver n’importe où, d’en finir avec le soleil et le sable, le sable et le soleil. À mon souhait d’errante assoiffée tout à coup de repos parmi des visages français, il répondait, cet air, par toute la tristesse du monde, une tristesse de chez nous perdue dans l’infini d’un Sahara autrement lointain que tous les autres.

… Tellement lointain que les logis les plus effarants où j’avais eu déjà l’occasion de dormir n’étaient rien