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Le Figuig

s’ébattent de turbulentes grenouilles. Et, à travers le tout, une population en plis blancs ou roux, grave. Des petits garçons jouent, courent. Ce sont des burnous hauts de quatre pouces, le capuchon fatidique et formel de l’Islam rabattu sur des enfants de lait. Ou bien la tête est nue et rasée, avec le seul toupet coranique au vent.

Présentés par les deux officiers qui nous accompagnaient, nous fûmes introduits près du pacha gouverneur. C’est chez lui que je pus, de mes oreilles, entendre courir en rigoles souterraines l’eau dont s’alimentait chaque maison et la ville ; héritage de la conquête romaine sans doute, comme beaucoup de choses en Afrique Mineure. Eau courante, tout-à-l’égout, rien ne manquait à ces demeures pour en assurer l’exquise netteté.

Le pacha nous fit passer la revue de ses troupes, soit cent hommes. Leur uniforme, pour copier ceux de nos soldats, était d’un rouge militaire. Leurs mouvements s’accomplissaient, ou presque, avec l’exactitude de chez nous.

Ces guerriers si ridicules et si touchants n’étaient-ils pas la manifestation d’une anxiété ? Essai d’équipement à l’européenne. Donc possible attaque à l’européenne ?…

Certes ! Un peu plus d’un an auparavant il y avait eu des représailles de notre part : un bombardement de la mosquée principale. C’est pourquoi force était au gouverneur, en dépit de « ses troupes », de tolérer nos visages d’infidèles dans ce coin de Maroc — un Maroc qu’on ne reverra plus.

Cependant, comme nous passions dans les rues avec nos six goumiers et nos deux officiers, il ne nous fut pas difficile de constater la sourde hostilité qui nous accueillait. Quelques patriarches assis devant leurs maisons et devisant avec des gestes salomoniques affectèrent de ne pas nous voir. De même fit la fillette de quelque sept ans qui lavait à la fontaine, robe retroussée, et trempant ses bracelets de cheville dans l’eau. Cette gamine eut la fierté de ne pas même lever la tête. Les femmes, elles, si bien voilées que la moitié d’un de leurs yeux tout juste