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Béni-Ounif

De ce bureau arabe de Béni-Ounif et aussi d’autres milieux militaires du Sud, je conserve des impressions qui deviennent représentatives d’époques périmées, aujourd’hui qu’est partout abolie la solitude de l’être humain. Car, fût-il Robinson Crusoë, dès l’instant qu’il possède un poste de T. S. F. l’isolement complet de l’exilé cesse d’exister, les voix de la terre entière étant à portée de son oreille.

La pathétique pièce de René Lenormand, Le Simoûn, je puis dire que j’en ai vu vivre les éléments pendant ce voyage sévère entre notre Algérie et le Maroc encore libre.

Certes, il ne s’agissait plus de palaces, de touristes et d’Ouled Naïl. Curieux de tout voir, nous n’avions permission de circuler qu’escortés de six goumiers bien armés, et, dès le crépuscule annoncé, ces cavaliers arrêtaient d’un mot n’importe quelle silhouette rencontrée. « Achkoûn ?… » (Qui va là) ? Et le questionnaire commençait.

Les Arabes, dans les villages, n’allaient au marché que le fusil au dos. Les pauvres gares, quand un semblant de chemin de fer descendait jusque-là, braquaient un canon à chaque angle de leurs terrasses. Dans un des petits postes que nous visitions, une négresse pas très jeune circulait parmi les spahis. « La seule femme de la région », nous apprit-on. Ailleurs, un vieil Arabe d’Alger, devenu fou, grommelait de sombres incohérences à l’adresse d’on ne savait qui, mais, chose déconcertante, en fran-