Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
El Arab

saisir que le harem me demandait comment j’avais pu traverser le désert plein de Barabar (barbares) sans être enlevée pour le harem du Sultan.

Dans mon petit-nègre arabe et m’aidant du geste, je répondis que rien de tel ne m’était arrivé puisque j’étais là, ce qui déchaîna les rires et aussi le lu-lu-lu, de l’Afrique mineure, cri de joie sur le mode aigu dont la note unique se scande par des coups saccadés de la main sur la bouche.

Nous en étions là quand je vis entrer par le fond une belle esclave noire dont les laines touchaient les épaules, portant sur sa tête un immense plateau chargé de victuailles. Et je compris : le même déjeuner que celui que je venais de faire ! Et c’était à moi seule qu’il était destiné !

Inutile d’essayer aucune défense. Elles étaient soixante à s’empresser. Refuser ce qu’elles m’offraient eût été la plus mortelle offense. Et comment leur expliquer que je venais de partager le repas des hommes ? Je n’avais pas encore à ma disposition de vocabulaire suffisant. À leurs yeux, d’ailleurs, une femme mangeant avec des hommes représentait une chose simplement impossible.

… Et, nécessairement, les trente tasses de thé suivirent.

Cette mésaventure gastronomique, quand, sur le chemin du retour, puis, le soir, à la division, je la racontai, fut un sujet de gaieté pour tout le monde. Le général en riait de bon cœur.

Je ne le voyais, le général, qu’à certains moments de la journée, à l’heure des repas et aussi le soir, quand il s’accordait un rien de détente. Même à ces instants il lui arrivait de retomber dans une conversation militaire avec ses officiers. Parfois un souci passait, tourmentait son visage. Il se levait alors, et, traînant son sabre, arpentait fiévreusement au milieu d’un silence subit.

Au bureau arabe de Béni-Ounif, je l’ai vu pris d’un