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Aïn Sefra

rien des salons musulmans de Tunis, pas autre chose que des coussins et tentures d’un exotisme encore jamais vu. J’aperçus en entrant une soixantaine de femmes de tous âges et je puis dire de toutes couleurs, car il y en avait de très blanches, de très noires, de dorées et de moins dorées, de basanées et d’olivâtres. J’en savais assez pour comprendre qu’il s’agissait là non des épouses et concubines du marabout, mais, exactement comme ailleurs en Islam, de tout le féminin de sa famille et de la famille de sa femme, sans compter toutes leurs voisines.

Ma visite était un événement extraordinaire, en effet : c’était la première fois que ces dames du Sud marocain voyaient une Européenne.

Cependant leur avide curiosité ne se manifesta par aucun signe, car, parmi des musulmanes de cette sorte, je savais la gravité qu’il faut garder, quand ce ne serait que pour répondre à la leur, les empêchant ainsi de faire out à coup, de la chrétienne trop délurée qui les visite, une poupée qu’elles déshabilleront au besoin pour mieux examiner toutes les étrangetés qui la vêtent.

Certaines de ces femmes, dans leur décor et leurs costumes aux vives couleurs, étaient vraiment aussi belles qu’un tableau de Delacroix. Celle qui, certainement, était la femme du marabout, me fit asseoir près d’elle dans le désordre des coussins accumulés sur une espèce d’estrade, et, s’étant rendu compte à ma salutation que je savais un peu d’arabe, me demanda si j’avais des enfants.

— La !… répondis-je. (Non) !

Là-dessus, le concert de lamentations unanimes qui s’éleva s’accompagna chez toutes du geste classique de se griffer les joues, signe de deuil pour les femmes arabes. Je compris à peu près les souhaits qu’elles me firent ensuite toutes à la fois pour me consoler de n’être pas mère encore. Puis vinrent des paroles trop compliquées pour moi qui, déjà, devinais plutôt que je ne comprenais cet arabe marocain, lequel supprime les voyelles, on dirait, pour ne prononcer que des consonnes.

À force de faire répéter plus lentement, je pus enfin