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Aïn Sefra

ne peut en aucune façon étonner ceux qui connaissent vraiment les Arabes.

Les lecteurs qui lurent La Caravane en Folie de Félicien Champsaur ne savent pas que ce roman représente notre voyage de jadis dans le désert Oranais et Marocain. À travers inventions, exagérations et travestissements, on y retrouve quelque chose de l’exaltation dans laquelle vivaient ces officiers français, depuis plus de deux ans voués à la grande solitude du Sud, et dont la jeunesse frémissante, dans le magnétique rayonnement du chef, ne palpitait que pour le devoir plus que sévère d’obéir à son génie.

Dès le lendemain de notre arrivée, le général me demanda, puisqu’il possédait un piano, de bien vouloir, lui et ses quarante officiers, les charmer d’un peu de musique.

J’avais jugé bon de m’habiller pour le dîner, c’est-à-dire de quitter mon costume de petit garçon pour mettre une robe, tulle noir à longues manches flottantes — que je n’emportai pas pour la suite du parcours.

Le concert se poursuivait, dévotement écouté, quand… Que se passa-t-il ? Fatigue du voyage, peut-être ? On me raconta le lendemain comment, tout à coup, au milieu d’un nocturne de Chopin, je posai mes deux bras et leur tulle sur les bougies du piano, geste absolument inconscient puisqu’il me fut impossible de m’en souvenir. Je fis ensuite, paraît-il, quelques pas sur le plancher, puis, brusquement, tombai de tout mon long à la renverse, évanouie.

N’ayant rien senti de tout cela, je sentis, cette fois, et, si douloureusement que j’en fus réveillée en criant, une mèche de mes cheveux, alors dans leur longueur, s’arracher de ma tête. Ces messieurs, saisis d’épouvante, s’étaient tous à la fois précipités pour me ramasser, et, parmi cette bousculade, mes cheveux, coiffés pourtant en nattes serrées, s’étaient on ne sait comment pris dans