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Aïn Sefra

aristocratie religieuse qui descend du Prophète : les ulémas qui sont les docteurs de l’Islam ; les imams qui récitent la prière dans les mosquées ; et enfin les mokadems, chefs des grandes confréries, qui jouent un si grand rôle dans l’Islam africain, et qui étaient venus précédés de leurs étendards de soie.

« Tout ce monde qui représentait la plus noble pensée religieuse de Fez et aussi la plus grande force politique, puisque l’esprit religieux et la puissance politique se confondent là-bas, tout ce monde sur plusieurs rangs se rangea dans la cour et récita la fatiha que chaque vendredi on récite à la mosquée.

« Quand cette prière fut finie, le mokadem de Moulay Idriss, précédé de deux enfants qui tenaient des cierges allumés, et d’un troisième qui portail l’eau sainte du sanctuaire, monta l’escalier qui conduit à la chambre du maréchal. Il s’y rencontra avec Mgr  Donet, évêque du Maroc. Le mokadem offrit au grand malade l’eau sainte qu’il avait apportée et à laquelle on accorde un pouvoir miraculeux.

« — J’espère, dit-il, monsieur le Maréchal, qu’après votre guérison, votre première visite sera pour Moulay Idriss.

« À quoi Lyautey répondit :

« — Non… ce sera ma seconde visite. La première sera pour mon église. »


Cette union entre le Maroc et son conquérant devait attendre encore quelque vingt ans pour se réaliser quand, à la fin de cet hiver-là, nous fîmes notre entrée dans Aïn-Sefra.

Pour commencer, quelque chose d’insolite et de frappant : à droite des manières de baraquements qui constituaient la division, au pied de la dune terriblement saharienne qui s’élevait à deux pas, un pâle rang de jeunes peupliers, souvenir de la France, se trouvait par miracle planté dans ce Sud sans végétation aucune. La tombe d’Isabelle Eberhardt n’était pas loin. Avant même d’entrer à la division, je m’empressai de déposer sur sa pierre