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— Que diable avez-vous dans le corps ?

Les trombones sourirent et parlèrent bas aux contrebasses, qui ne répondirent pas.

Tous mes musiciens étaient profondément artistes ; la solitude, le lieu, la nuit, avaient d’abord un peu agi sur leurs nerfs ; mais ensuite ils se jetèrent de verve, tête première, en pleine symphonie, et ce fut alors un concert dont l’exécution foudroya la montagne. Une seule bougie jaune brûlait sur le pupitre du chef, comme le treizième cierge qu’on éteint aux ténèbres du vendredi saint ; on ne voyait que le visage des musiciens : leurs instruments étaient dans l’ombre. Toutes ces têtes agitées de convulsions ressemblaient à des têtes de possédés se débattant sous l’exorcisme. Quand le jeune chanteur eut laissé tomber dans l’abîme le dernier Relevez-vous ! tous les regards cherchèrent des fantômes dans le noir espace. Il s’en trouva qui se voilèrent les yeux à deux mains, car ce qu’ils entrevoyaient était insupportable à la paupière. Sur un rocher à pic, tendu comme un immense linceul, on vit passer une liasse d’ombres rouges que la lune même n’osa pas regarder ; car elle prit le premier nuage venu et se couvrit les yeux comme nous. Et, quand éclata le duo, que de choses inouïes furent entendues ! que de choses invisibles furent vues ! que d’émotions gaspillées dans les coulisses de carton et retrouvées ici ! Auras-tu le courage a"y pénétrer, seul, sans pâlir ? A cette formidable demande, le jeu funèbre des trombones