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jour tombait ; il y avait même en face de moi une gorge béante déjà noire comme à la nuit : l’aspect du lieu devenait toujours plus satanique. Si j’avais l’honneur d’être Berlioz, je volerais à la nature la symphonie qu’elle exécutait alors pour moi, dût-elle m’attaquer en contrefaçon. Les instruments étaient peu nombreux, mais ils versaient une large harmonie ; les aiguilles des pins frissonnaient, les saxifrages murmuraient avec mélancolie, les feuilles jaunes et sèches tourbillonnaient à la brise, le grillon exécutait son nocturne, la montagne tirait des accords de toutes les cavernes ; un pin gigantesque, en inclinant et relevant un de ses longs rameaux dépouillés, ressemblait à YHabeneck de cet orchestre mystérieux des bois. Dans cette ravissante ouverture du drame de la nuit, il n’y avait pas une fausse note, pas un accord contre les règles, pas une erreur de composition ; la nature orchestre supérieurement’ses œuvres musicales ; elle combine avec un art incomparable tous les sujets qui exécutent ses partitions inédites. Peu lui importe d’avoir des auditeurs ; elle se fait jouer pour son plaisir d’égoïste, elle se complaît à son ouvrage, elle s’applaudit et ne fait lever le rideau qu’à l’heure où la campagne est déserte, où les villes s’illuminent de clartés pâles, où les pauvres humains s’enferment entre quatre murs tapissés de paysages pour échanger entre eux les longs bâillements de la veillée et les paroles nauséabondes qu’ils appellent les charmes de Ja conversation.