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LA MARE AUX FÉES

que limite aussi loin que peut atteindre le regard la bande immobile de l’horizon. Ceux qui manient la brosse enragée de Salvator, le plateau les fera descendre par un ravineux escarpement au milieu des profondeurs solitaires de la Gorge-aux-Loups, qu’il domine dans son extrémité occidentale. Là, comme si la lutte du sol avec les éléments était encore récente, on peut suivre dans toutes les traces qu’il a laissées le passage du cataclysme qui dut ébranler des carrières et pousser devant lui les blocs arrachés de leurs entrailles, comme un ouragan soulève à son approche la poussière du chemin. En pénétrant dans cette gorge, on croirait visiter les débris de quelque Ninive inconnue. Les masses gigantesques de rochers semblent encore recevoir l’impulsion du bouleversement, et se poursuivre, s’escalader comme une armée de colosses en déroute. Les uns, inclinés dans un angle de vingt degrés, paraissent prendre un nouvel élan pour continuer leur course ; les autres, penchés au bord d’un ravin dans une attitude menaçante, inquiètent le regard par leur immobilité douteuse. Les arbres, comme s’ils étaient encore tourmentés par un vent de fin du monde, se courbent avec des mouvements qui les font ressembler à des êtres en péril et faisant des signaux de détresse ; les uns agitent leurs rameaux avec des torsions et des contorsions épileptiques ; les autres, comme des athlètes qui se provoquent à la lutte, avancent l’un contre l’autre une branche dont l’extrémité noueuse ressem-