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tagne dont la neutralité le couvrait d’une manière indirecte, un tel lieu devait être et fut réellement le dernier et inviolable boulevard de la défense nationale en Normandie. Quiconque aimait trop la terre natale pour se résoudre à s’en éloigner et abhorrait trop les conquérants pour se résigner à vivre sous leur joug, vint chercher au Mont-Saint-Michel un suprême refuge. Pendant toute la durée de l’occupation anglaise, la garnison du Mont ne cessa de se dresser en face des envahisseurs comme une protestation militante du patriotisme français et de l’honneur normand. En dehors même d’opérations militaires et de démonstrations offensives contre les nouveaux maîtres du Cotentin, le seul fait de la présence de cette garnison sur ce sommet tant convoité était comme un défi lancé perpétuellement aux Anglais d’Avranches, de Tombelaine, d’Ardevon, de Genest, de Pontorson, des Pas, qui ne pouvaient jeter un regard à l’horizon sans se heurter aussitôt à l’imprenable forteresse, point de mire de si nombreux, si acharnés et si impuissants efforts. Assiégés ou du moins bloqués sans relâche pendant vingt-six ans, depuis 1418 jusqu’à la trêve conclue entre Charles VII et Henri VI en 1444, les défenseurs du Mont-Saint Michel soutinrent victorieusement la lutte jusqu’au bout et se créèrent sur leur coin de rocher une petite Normandie qui leur rappelait la grande, devenue la proie de l’étranger.

Ils conservèrent les titres et les offices inhérents à l’administration du pays conquis, alors même que ces titres et ces offices ne répondaient plus à la réalité. Cela résulte de quelques-uns des documents dont nous