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LUCAIN.

père, Argus soulève sa tête qui penche sur son cou languissant. Aucune parole ne s’échappe de ses lèvres ouvertes : son visage muet demande seul un baiser, et prie la main paternelle de lui fermer les yeux.

Enfin, le vieillard renaît de sa torpeur, et sa douleur cruelle se ranime : « Ne perdons pas, dit-il, les instants que nous laissent les dieux cruels, perçons ce cœur qui a trop vécu. Argus, pardonne à ton malheureux père, s’il se dérobe à tes embrassements, à tes derniers baisers : le sang bout encore dans tes blessures ; tu respires, tu peux me survivre. » À ces mots, quoique déjà le glaive ait traversé jusqu’à la poignée ses entrailles fumantes, soudain il se précipite au fond de la mer : impatient de précéder son fils, il n’ose pas se confier à une seule mort.

Mais la fortune de César a fait pencher la balance, et l’issue du combat n’est plus douteuse. Le plus grand nombre des galères phocéennes est abîmé sous les eaux ; d’autres ont changé de rameurs, et portent l’armée victorieuse : quelques-unes, par une fuite rapide, ont regagné les ports. Dans la ville, quelle désolation des familles ! quels gémissements des mères sur le rivage ! Les vagues ont défiguré les morts, et plus d’une veuve, croyant reconnaître son époux, embrasse le cadavre d’un Romain ! À côté d’un bûcher en flammes, de malheureux pères se disputent un corps mutilé. Ainsi Brutus, triomphant sur la mer, ajoute le premier aux armes de César l’éclat d’une victoire navale.



CHANT QUATRIÈME.

Cependant loin de Marseille, aux extrémités du monde, César poursuit avec ardeur une guerre moins sanglante, mais qui doit peser d’un très-grand poids dans la fortune des deux partis. Les troupes de Pompée obéissent à deux chefs d’une égale autorité, Afranius et Petréius. De bon accord, ils se sont partagé la puissance ; ils commandent tour à tour, et la garde du camp reçoit alternativement leurs ordres. À leurs légions latines, se joignent l’infatigable Astur[1] et le Vetton[2] agile, et le Celte qui, fuyant la Gaule son antique patrie, a mêlé son nom à celui de l’Ibère.

Sur la croupe inclinée d’une étroite colline, au milieu d’un sol fertile, s’élève Hilerda[3] dont une antique main posa les fondements. À ses pieds coulent les ondes paisibles du Sicoris[4], qui n’est pas le dernier des fleuves de l’Hespérie ; un pont de pierres, qui l’embrasse de son arc immense, peut braver les torrents de l’hiver.

Et miserum cernens agnoscere desinit Argum.
Ille caput labens, et jam languentia colla
Viso patre levat : vox fauces nulla solutas
Prosequitur : tacito tantum petit oscula vultu,
Invitatque patris claudenda ad lumina dextram.
Ut torpore senex caruit, viresque cruentus
Cæpit labere dolor, « Non perdam tempora, dixit,
A sævis permissa Deis, jugulumque senilem
Confodiam : veniam misero concede parenti,
Arge, quod amplexus, extrema quod oscula fugi.
Nondum destituit calidus tua volnera sanguis,
Semianmisque jaces, et adhuc potes esse superstes. »
Sic fatus, quamvis capulum per viscera missi
Polluerat gladii, tamen alta sub æquora tendit
Præcipiti saltu : letum præcedere nati
Festinantem animam morti non credidit uni.

Inclinant jam fata ducum ; nec jam amplius anceps
Belli asus erat : Graiæ pars maxima classis
Mergitur ; ast aliæ mutato remige puppes
Victores vexere suos : navalia paucæ
Præcipiti tenuere fuga. Quis in urbe parentum
Fletus erat ! quantus matrum per littora planctus !
Conjux sepe sui, confusis vultibus unda,
Credidit ora viri, Romanum amplexa cadaver ;
Accensisque rogis miseri de corpore trunco
Certavere patres. At Brutus in æquore victor,
Primus Cæsareis pelagi decus addidit armis.

LIBER QUARTUS.

At procul extremis terrarum Cæsar in oris
Martem sævus agit non multa cæde nocentem,
Maxima sed fati ducibus momenta daturum.
Jure pari rector castris Afranius illis,
Ac Petreius erat : concordia duxit in æquas
Imperium commune vices ; tutelaque valli
Pervigil, alterno paret custodia signo.
His præter Latias acies erat impiger Astur,
Vettonesque leves, profugique a gente vetusta
Gallorum Celtæ miscentes nomen Iberis.

Colle tumet modico, lenique excrevit in altum
Pingue solum tumulo : super hunc fundata vetusta
Surgit Hilerda menu : placidis prælabitur undis
Hesperios inter Sicoris non ultimus amnes,
Saxeus ingenti quem pons amplectitur arcu,
Hiberuas passurus aquas. At proxima rupes
Signa tenet Magni : nec Cæsar colle minori

  1. Peuple de l’Asturie.
  2. Peuple de la Biscaye.
  3. Aujourd’hui Lerida (Catalogne)
  4. La Segre.