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LA PHARSALE.

s’enfoncer en tremblant dans sa poitrine, et sa main mourante détourne encore le gouvernail. Giarée s’élance sur la galère de son ami : dans son vol, il est frappé d’une flèche qui l’attache aux flancs du navire auxquels il reste cloué. À côté l’un de l’autre sont deux frères jumeaux, orgueil une mère féconde, que les mêmes entrailles ont engendrés pour de contraires destins. La mort est venue les distinguer l’un de l’autre, et les malheureux parents, privés d’une douce erreur, peuvent maintenant reconnaître le seul fils qui leur reste : sujet de larmes éternelles, c’est lui qui perpétue leur deuil en offrant à leur douleur l’image de celui qui n’est plus (6).

L’un d’eux, voyant ses rames qui se mêlent et se croisent avec celles de l’ennemi, ose, du haut de sa poupe, porter la main sur une galère romaine : mais elle est tranchée par un fer pesant ; cependant elle s’attache au bois qu’elle serre, et vivants encore, ses nerfs contractés se raidissent dans leur étreinte. Le courage du guerrier grandit dans la douleur ; une noble colère anime ce corps mutilé : de sa main gauche il recommence vaillamment le combat, et, penché sur les flots, il veut ressaisir sa droite. Mais le glaive tranche encore sa main gauche avec tout le bras. Alors sans bouclier, sans armes, il ne va pas se cacher au fond du vaisseau ; exposé à tous les coups, de sa poitrine découverte il protége les armes fraternelles. Quand mille dards le traversent, il se tient debout, et, déjà frappé à mort, il attire sur lui tous les traits qui portaient le trépas à ses amis. Recueillant alors dans ses membres épuisés son âme qui s’échappe par tant de blessures, il tend ses muscles avec tout le sang qui lui reste, et, se soulevant sur ses nerfs qui chancellent, se jette dans la nef ennemie pour nuire au moins par le poids de sa chute. Le navire, comblé par le carnage, rempli de flots de sang, reçoit dans son travers les coups redoublés de l’éperon : bientôt l’eau se fait jour dans sa carcasse entr’ouverte, et envahit tous ses bords ; le navire s’affaisse, et, dans une vaste spirale, engouffre tous les flots d’alentour ; l’onde recule, s’ouvre pour le naufrage, et la mer retombe dans l’abîme qu’il a creusé.

Ce jour fit voir à l’Océan les prodiges de mille fortunes diverses. Une main de fer plongeant sa griffe sur un vaisseau atteint Lycidas et l’entraîne dans les ondes : ses compagnons l’arrêtent, en le retenant par ses jambes suspendu dans les airs, le corps se divise, déchiré par le milieu : le sang ne sort pas lentement comme d’une blessure, il jaillit à la fois de toutes les veines rompues, et l’eau intercepte les conduits par où la vie circule dans les membres. Jamais l’âme ne s’échappa par une plus large voie. La partie inférieure du tronc, où ne

Semper venturis componere carbasa ventis.
Hic Latiæ rostro compagem ruperat alni :
Pila sed in medium venere trementia pectus,
Avertitque ralem morientis dextra magistri.
Dusm cupit in sociam Gyareus erepere puppim.
Excipit immissum suspensa per ilia ferrum,
Adfixusque rati, telo retinente, pependit.

Stant gemini fratres, fecundæ gloria matris,
Quos cadem variis genuerunt viscera fatis :
(Discrevit mors sæva viros : unumque relictum
Agnorunt miseri, sublato errore, parentes,
Æternis causam lacrymis : tenet ille dolorem
Semper, et amissum fratrem lugentibus offert.)
Quorum alter, mis oblique pactine remis,
Ausus Romanæ Graia de puppe carinæ
Injectare manum ; sed eam gravis insuper ictus
Amputat : illa tamen nixu, quo prenderat, hæsit,
Deriguitque tenens strictis immortua nervis.
Grevit in adversis virtus : plus nobilis iræ
Truncus habet ; fortique instaurat prælia læva,
Rapturusque suam procumbit in æquora dextram.
Hæc quoque cum tolo manus est abscissa lacerto.
Jam clypeo, telisque carens, non conditur ima
Puppe : sed expositus, fraternaque pectore nudo
Arma tegens, crebra confiçus cuspide perstat :
Telique ; multorum leto casura suorum,
Emerita jam morte tenet. Tum vulnere multo
Effugientem animam lassos collegit in artus,
Membraque contendit toto, quicumque manebat,
Sanguine, et hostilem, defectis robore neris,
Insiduit, solo nociturus pondere, puppim.
Strage virum cumulata ratis, multoque cruore
Plena, per obliquum ecrebros latus accipit ictus.
At postquam raptis pelagus compagibus hausit.
Ad summos repleta feros, desidit in undas,
Vicinum involvens contorto vortice pontum.
Æquora discedunt mersa diducta carina,
Inque locum puppis cecidit mare : multaque ponto
Præbuit ille dies varii miracula fati.

Ferrea dum puppi rapidos manus inserit uncos
Adfixit Lycidam : mersus foret ille profundo,
Sed prohibent socii, suspensaque crura retentant.
Scinditur avulsus : nec, sicut vulnere, sanguis
Emicuit lentus ; ruptis cadit undique venis :
Discursusque animæ diversa in membra meantis
Interceptus aquis. Nullius vita perempti
Est tanta dimissa via : pars ultima trunci
Tradidit in letum vacuos vitalibus artus :