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LUCAIN.

l’Eurus et le Zéphyr luttent contre le flux de l’Océan, la mer avance et le flot recule ; ainsi les navires croisent en tous sens les flots qu’ils sillonnent, et les vagues poussées par l’un sont repoussées par l’autre. Les galères phocéennes sont plus propres à l’attaque, plus vites à la fuite, plus promptes à tourner dans un cercle rapide, plus souples, plus dociles à l’impulsion du gouvernail. Mais la galère latine offre un plancher plus ferme et plus stable, où le Romain croit encore combattre sur terre.

Alors, à son pilote assis sur la poupe où flottent les aigles, Brutus parle en ces mots : « Veux-tu donc promener l’armée sur les flots, et faire avec ces gens assaut de ruses navales ? Allons, engage la bataille : lance notre flanc sur les éperons de ces fuyards. » Le pilote obéit, et présente sa carène en travers à l’ennemi. Toute galère qui vient heurter le vaisseau s’y attache, victime de son choc et retenue captive par le fer qu’elle enfonce. D’autres, arrêtées avec des grapins, avec de longues chaînes, sont engagées même par leurs rames. La mer couverte est un champ de bataille immobile.

On ne se fatigue pas à lancer le javelot : la flèche ne porte pus de lointaines blessures ; les mains cherchent les mains, et dans une lutte navale, c’est l’épée qui fait le plus. De son bord, chacun se penche sur le fer ennemi ; de tous ceux qu’il frappe pas un ne tombe sur son propre navire. Les ondes s’enflent d’une rouge écume ; au-dessus des flots surnage une couche de sang. Les vaisseaux qu’attirent les mains de fer sont empêchés de se joindre par une digue de cadavres. Les uns disparaissent à demi morts dans le vaste gouffre, et bientôt leur sang se mêle avec l’onde amère. D’autres, luttant contre le trépas et traînant une longue agonie, s’abîment soudain avec leurs vaisseaux fracassés. La flèche perdue frappe des victimes dans les flots, et le trait qui tombe sans avoir atteint trouve une blessure à faire au milieu des ondes. Un vaisseau romain, entouré par les galères phocéennes, a partagé ses forces et défend également ses deux bords. Le brave Catus combat du haut de la poupe, et, saisissant déjà l’enseigne ennemie, tombe frappé d’un seul coup par deux flèches opposées ; le fer se croise en lui traversant le cœur : d’abord le sang hésite, incertain par quelle blessure il va couler ; bientôt, jaillissant à longs flots, il chasse à la fois les deux flèches, et l’âme divisée meurt d’une double mort. La fortune pousse, en cet endroit le malheureux Télon, Télon, qui n’a pas de pareil, quand sur une mer révoltée il lait obéir la poupe à sa main savante. Jamais nocher, observant Phébus ou le croissant de la lune, n’a mieux su prévoir le jour du lendemain, et disposer ses voiles pour les vents à venir. Le bec de sa proue avait ouvert une carène romaine ; mais un javelot vient