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LA PHARSALE.


Déjà Titan se penchait vers les ondes et nous cachait autant de son disque enflammé, qu’il en manque d’ordinaire à celui de la lune lorsqu’elle s’approche ou s’éloigne de son plein. C’est alors que la rive hospitalière offrit un accès facile aux vaisseaux de Pompée. Les voiles se plient, les mâts s’abaissent, et l’on aborde avec les rames.

Les vents ont entraîné, sous les yeux de César, les vaisseaux échappés ; la mer a caché la flotte. Seul maître de l’Hespérie, la gloire d’avoir chassé Pompée ne saurait faire sa joie ; il gémit de voir l’ennemi fuir sans péril sur les eaux. Cette âme impatiente n’est satisfaite d’aucune fortune : pour elle, attendre la guerre c’est trop payer la victoire. Alors cessant de rêver aux combats, César s’applique à la paix. Il sait comme se gagnent les vaines amours du peuple ; comment on allume ses colères ; comment on s’attire avec un peu de blé ses plus hautes faveurs ; comment la faim soulève les villes, et comment les puissants achètent avec du pain la terreur et le repos de la multitude. Car le peuple à jeûn ne connaît plus la crainte.

À ses ordres, Curion va parcourir les villes de la Sicile, et traverse cette mer dont une subite fureur engloutit jadis ou déchira le continent, devenu son double rivage. Dans ce détroit furieux, la vague mugit sans cesse, repoussant les monts qui veulent se rejoindre. L’armée se répand aussi sur les côtes de la Sardaigne. Ces deux îles sont renommées par la richesse de leurs campagnes : avant elles, aucune terre n’envoyait à l’Hespérie des moissons étrangères ; aucune ne combla comme elles les greniers de Rome. À peine la Lybie les surpasse-t-elle en fertilité, lorsque, triomphant de l’Auster, Borée rassemble les nuages sous le milieu de l’axe, et déverse les pluies qui fécondent l’année.

Dès que César a pris ses mesures, vainqueur, à la tête de ses cohortes qui semblent apporter la paix, il s’avance vers les murs de Rome. Oh ! s’il n’eût dompté que les peuples de la Gaule et du Nord, quelle gloire à ton retour ! quelle longue suite de trophées, quelles dépouilles glorieuses eussent précédé le triomphateur ! Le Rhin, l’Océan, porteraient ses chaînes ! La noble Gaule et la blonde Bretagne suivraient son char superbe. Hélas ! combien a-t-il perdu en abusant de la victoire ? Les villes ne l’accueillent pas joyeuses, empressées ; elles le voient passer, muettes de terreur. Nulle part la foule ne vient à sa rencontre ; mais lui, se réjouit d’inspirer tant de crainte, et ne préférerait pas d’être aimé.

Il a déjà passé la citadelle escarpée d’Anxur[1], et l’humide sentier qui sépare les marais Pontins, et l’antique forêt consacrée à la Diane de Scythie[2], et le chemin que les faisceaux traversent aux fêtes Latiales pour atteindre Albe-la-Haute. Déjà, d’une roche élevée, il aperçoit

  1. Terracine.
  2. Forêt d’Aricie.