Page:Lucain, Silius Italicus, Claudien - Œuvres complètes, Nisard.djvu/52

Cette page n’a pas encore été corrigée
40
LUCAIN.


sans l’appareil d’une vaine pompe, et les dieux pour témoins suffisent aux deux époux. Le seuil n’est pas couronné de guirlandes joyeuses ; la blanche tresse ne flotte pas sur les deux linteaux de la porte. On ne voit ni les torches de l’hymen légitime, ni la couche nuptiale sur ses gradins d’ivoire, dont l’or émaille les tentures. La matrone qui pose le diadème de tours sur le front de l’épousée, n’empêchera pas Marcia d’effleurer le seuil en le traversant(3) ; le rouge tissu qui doit voiler la pudeur timide, n’ombragera pas sa tête baissée de ses reflets vermeils. La ceinture de laine ne serrera pas sa robe ruisselante de pierreries : son collier n’a pas de luxe ; au sommet de ses épaules s’agrafe une étroite tunique, qui presse ses bras sans parure. Elle a gardé ses tristes vêtements de deuil : son baiser d’épouse est comme un baiser de mère. La pourpre de ses vêtements se cache sous la serge funèbre. On n’entend pas les propos malins de la jeunesse ; les railleries joyeuses des noces sabines ne feront pas sourire l’époux chagrin. Point de famille, point de parents qui les entourent ; union silencieuse, qui s’accomplit sous les auspices du seul Brutus !

Caton ne daigne pas écarter de sa tète auguste ses cheveux hérissés ; il n’admet pas la gaieté sur son austère visage. Depuis qu’il a vu briller les armes sacriléges, il a laissé croître et descendre sa blanche chevelure sur son front ridé : une longue barbe couvre ses joues sévères. À cet homme sans amitiés et sans haines, il ne reste qu’à pleurer sur le genre humain. Il n’a pas renouvelé l’alliance du lit nuptial, et son âme vigoureuse a résisté même à l’amour légitime.

Voilà le rigide Caton, voilà ses mœurs, voilà sa secte[1] : se borner, tendre au but, suivre la nature, dévouer sa vie à la patrie, se croire sur la terre, non pour soi, mais pour tous : son repas splendide, c’est de vaincre la faim ; son palais est le toit qui l’abrite contre l’hiver ; son riche vêtement, la toge velue du vieux Quirile jetée sur ses épaules. Il ne comprend dans l’amour que la reproduction : sa fille c’est la Ville ; la Ville est son épouse : le juste est son culte, l’honnête son inflexible loi. Il fait le bien pour tous ; l’égoïsme, idole de lui-même, n’a jamais surpris un mouvement de cette âme, n’a jamais eu sa part dans la vie de Caton.

Cependant Pompée, avec sa suite tremblante, quitte Rome et vient à Lapone, colonie des fils de Dardanus[2]. C’est là qu’il établit le siége de la guerre ; c’est de là que, pour arrêter l’audacieuse ambition de César, il disperse ses légions au centre de l’Italie, là où s’élèvent les ombreuses collines de l’Apennin, là où se trouve la plus haute, la plus orgueilleuse crête de la chaîne et la plus voisine de l’Olympe. Ses flancs s’allongent et se resserrent entre les deux mers qui baignent l’Italie ; entre Pise, qui brise sur

  1. Il était stoïcien.
  2. Bâtie, dit-on, par Capys.