Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/82

Cette page n’a pas encore été corrigée

Sensitif, Tolstoï obéit à l’impulsion irrésistible de sa sensibilité en même temps qu’à ses pensées profondes. Son imagination créatrice est d’une puissance remarquable, il enjoué avec une virtuosité étonnante. Ayant le don même de la vie, il sait la rendre avec une telle intensité personnelle que les moindres pages de ses romans gardent toujours la vibration de son âme. Toute son œuvre porte une empreinte profonde, émotive, mais précise et nette en même temps, qui éveille les sentiments les plus divers du lecteur, le domine, le prend aux entrailles, l’étreint et le fait penser aux problèmes éternels de la vie. Sachant explorer les profondeurs de son cœur, Tolstoï sait pénétrer dans celui des autres. D’un trait sûr et délicat, il dessine des types vrais, vivants, des silhouettes nerveuses, pensives. Les personnages se lèvent à sa voix, tels qu’il les retrace, au moment précis où il les évoque, avec leur visage, leur allure, leur costume et jusqu’à leurs manies ; les foules apparaissent comme des individus, caractérisées par traits communs ; personnifiées, agissantes, elles deviennent des êtres vivants et passionnés. Les héros de ses romans sont des êtres qui vivent, souffrent, aiment et agissent ; ils rêvent et pensent, et ils parlent leurs rêves sans se soucier de ceux qui ne les écoutent pas, ou qui les écoutent sans les comprendre. On voit, dans leurs yeux, de vrais pleurs d’amour et dans leurs cœurs, de vraies larmes de sang ; leur amour n’est pas uniquement celui des sens, l’amour matériel, mais l’amour idéal, qui fond les âmes dans une union supra-terrestre. Et une lumière morale les enveloppe tous et les éclaire…