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la disette, il inquiétait les patriciens[1] ; en 369, Manlius, sauveur de Rome, parce qu’il avait dépensé sa fortune pour venir en aide aux débiteurs insolvables[2]. Ainsi tomberont victimes de la même accusation le réformateur Tiberius Sempronius Gracchus, et plus tard, enfin, le grand César lui-même.

Mais si la crainte simulée du retour à l’ancien régime était un moyen puissant de gouvernement entre les mains des patriciens, la crainte réelle de voir leurs privilèges attaqués par les plébéiens les contenait dans la modération et la justice.

En effet, si la classe nombreuse, exclue de toute fonction, n’était pas venue par ses réclamations mettre des bornes aux privilèges de la noblesse, la contraindre à se rendre digne du pouvoir par ses vertus, et la rajeunir, en quelque sorte, par l’infusion d’un sang nouveau, la corruption ou l’arbitraire l’auraient, quelques siècles plus tôt, entraînée vers sa ruine. Une caste que ne renouvellent pas des éléments étrangers est condamnée à disparaître ; et le pouvoir absolu, qu’il appartienne à un homme ou à une classe d’individus, finit toujours par être également dangereux à celui qui l’exerce. Cette concurrence des plébéiens excita dans la République une heureuse émulation qui produisit de grands hommes, car, comme le dit Machiavel[3] : « La crainte de perdre fait naitre dans les cœurs les mêmes passions que le désir d’acquérir. » Quoique l’aristocratie ait défendu longtemps avec opiniâtreté ses privilèges, elle fit à propos d’utiles concessions. Habile à réparer sans cesse ses défaites, elle reprenait, sous une autre forme, ce qu’elle avait été con-

  1. « La mort de Melius était justifié, disait Quinctius pour apaiser le peuple, quand même il serait innocent du crime d’aspirer à la royauté. » (Tite-Live, IV, xv.)
  2. « De ces cœurs inflexibles sortit une sentence fatale, odieuse aux juges mêmes. » (Tite-Live, VI, xx.)
  3. Discours sur Tite-Live, I, v.