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que cette réparation lui parût injuste, mais par la crainte que la réhabilitation dans les droits politiques n’entraînât la réintégration dans les propriétés, mesure qui eût, selon lui, bouleversé tous les intérêts[1]. Ainsi, par une étrange inconséquence, Cicéron combattit ces deux lois de conciliation : l’une parce qu’elle rassurait, l’autre parce qu’elle inquiétait les détenteurs des biens des proscrits. Pourquoi faut-il que, chez des hommes supérieurs, mais sans convictions, le talent ne serve trop souvent qu’à soutenir avec la même facilité les causes les plus opposées ! L’opinion de Cicéron triompha néanmoins, grâce à son éloquence, et le projet, malgré la vive adhésion du peuple, rencontra dans le sénat une telle résistance, qu’il fut abandonné avant d’avoir été renvoyé aux comices.

César appuya la loi agraire, parce qu’elle relevait la valeur du sol, faisait cesser la défaveur attachée aux biens nationaux, augmentait les ressources du trésor, empêchait les dilapidations des généraux, délivrait Rome d’une populace turbulente et dangereuse en l’arrachant à l’abrutissement et à la misère. Il soutint la réhabilitation des enfants des proscrits, parce que cette mesure, profondément réparatrice, mettait un terme à l’une des grandes iniquités du régime passé.

Il y a des victoires qui affaiblissent le vainqueur plus que le vaincu. Tel fut le succès de Cicéron. Le rejet de la loi agraire et de la réclamation des fils des proscrits augmenta considérablement le nombre des mécontents. Une foule de citoyens, poussés par les privations et par un déni de justice, allèrent grossir les rangs des conspirateurs qui, dans

  1. Cicéron, Lettres à Atticus, II, 1. — Plutarque, Cicéron, xvii. — « Lorsque de jeunes Romains remplis de mérite et d’honneur se trouvaient dans une position telle, que leur admissibilité aux magistratures eût amené le bouleversement de l’État, j’osai braver leur inimitié, leur faire interdire l’accès aux comices et aux honneurs. » (Cicéron, Discours contre L. Pison, ii.)