Page:Louis Napoléon Bonaparte - Histoire de Jules César, tome 1, Plon 1865.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Sylla ; le second avait pris le nom de Marius comme symbole de ses espérances.

Il faut aux grandes causes une figure historique qui personnifie leurs intérêts et leurs tendances. L’homme une fois adopté, on oublie ses défauts, ses crimes mêmes, pour ne se souvenir que de ses grandes actions. Ainsi, à Rome, les vengeances et les massacres de Marius étaient sortis de la mémoire. On se rappelait seulement ses victoires, qui avaient préservé l’Italie de l’invasion des Cimbres et des Teutons ; on plaignait ses malheurs, on vantait sa haine contre l’aristocratie. Les préférences de l’opinion publique se manifestaient clairement par le langage des orateurs, même les plus favorables au sénat. Ainsi Catulus et Cicéron, venant à parler de Sylla ou de Marius, dont au fond la tyrannie avait été presque également cruelle, se croyaient obligés de glorifier l’un et de flétrir l’autre[1] ; cependant la législation de Sylla était encore en vigueur, son parti tout-puissant, celui de Marius dispersé et sans force[2].

La lutte qui depuis soixante-trois ans continuait contre le sénat avec la même persévérance n’avait jamais réussi, parce que la défense du peuple ne s’était jamais trouvée dans des mains ou assez fermes ou assez pures. Aux Gracques avait manqué une armée, à Marius un pouvoir moins avili par les excès, à la guerre des alliés un caractère moins

  1. « Le nom de C. Marius, de ce grand homme que nous pouvons à juste titre appeler le père de la patrie, le régénérateur de notre liberté, le sauveur de la République. » (Cicéron, Discours pour Rabirius, x.) « J’en ai pour garant votre indignation contre Sylla. » (Dion-Cassius, XXXVI, xvii, Discours de Catulus au Sénat.) « Où trouverait-on un personnage (Marius) plus grave, plus ferme, plus distingué par son courage, sa circonspection, sa conscience ? » (Cicéron, Discours pour Balbus, xx.) « Non-seulement nous subissons ses actes (de Sylla), mais, pour prévenir de pires inconvénients, de plus grands maux, nous leur donnons la sanction de l’autorité publique. » (Cicéron, Deuxième action contre Verrès, III, 35.)
  2. Plutarque, César, vi.