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venaient d’acquérir, les autres espérant ressaisir ce qu’ils avaient perdu.

L’aristocratie, fière de ses richesses et de ses ancêtres, absorbée par toutes les jouissances du luxe, écartait des premières fonctions les hommes nouveaux[1], et, par un long exercice du pouvoir, regardait les hautes magistratures comme sa propriété. Caton, dans un discours au sénat, s’écriait : « Au lieu des vertus de nos ancêtres, nous avons le luxe et l’avarice ; la pauvreté de l’État, l’opulence des particuliers ; nous vantons la richesse, nous chérissons l’oisiveté ; entre les bons et les méchants, nulle distinction ; toutes les récompenses dues au mérite sont le prix de l’intrigue. Pourquoi s’en étonner, puisque chacun, s’isolant des autres, ne consulte que son intérêt ? Chez soi, esclaves des voluptés ; ici, des richesses ou de la faveur[2]. »

Les élections étaient depuis longtemps le résultat d’un trafic sans pudeur, et pour parvenir tout moyen paraissait bon. Lucullus lui-même, pour obtenir le gouvernement de l’Asie, ne rougit pas de recourir à l’entremise d’une courtisane, maîtresse de Cethegus[3]. L’achat des consciences était tellement passé dans les mœurs, que les divers instruments de la corruption électorale avaient des fonctions et des titres presque reconnus : on appelait divisores ceux qui se char-

  1. « Nous voyons jusqu’où vont la jalousie et l’animosité qu’allument dans le cœur de certains nobles la vertu et l’activité des hommes nouveaux. Pour peu que nous détournions les yeux, que de pièges ils nous tendent !… On dirait qu’ils sont d’une autre nature, d’une autre espèce, tant leurs sentiments et leurs volontés sont en opposition avec les nôtres. » (Cicéron, Deuxième action contre Verrès, V, 71.) — « La noblesse se transmettait de main en main cette dignité suprême (le consulat), dont elle était exclusivement en possession. Tout homme nouveau, quels que fussent sa renommée et l’éclat de ses actions, paraissait indigne de cet honneur ; il était comme souillé par la tache de sa naissance. » (Salluste, Jugurtha, lxiii.)
  2. Salluste, Catilina, lii.
  3. Plutarque, Lucullus, ix.